Au lendemain de l'assassinat de Chokri Belaïd, secrétaire général du Parti des patriotes démocrates unifié, les Tunisiens se sont réveillés sur un climat marqué par le flou et l'incertitude. D'un côté, le chef du gouvernement, Hamadi Jebali, a annoncé la constitution d'un gouvernement de technocrates, décision rejetée par son parti Ennahdha, majoritaire à l'Assemblée constituante. De l'autre, le Front populaire et les partis démocrates ont décidé de suspendre la participation de leurs élus à l'Assemblée, d'organiser des funérailles nationales pour le défunt, d'appeler à une grève générale et à la démission du gouvernement en place. Cette situation a eu ses répercussions sur la rue, notamment sur l'avenue Habib Bourguiba qui semblait, hier, indécise et perdue. Pendant que dans d'autres régions, les manifestants n'ont attendu aucun mot d'ordre pour squatter les rues, l'avenue Bourguiba voulait, peut-être, se préserver pour aujourd'hui, journée des funérailles de Chokri Belaïd, et de grève générale pressentie. Dans la matinée, des centaines de manifestants ont quand même commencé à affluer du côté du Théâtre municipal. Dans les profils, on pouvait distinguer quelques militants du Parti des patriotes démocrates unifié et ceux du Front populaire, brandissant le drapeau du parti et de la coalition, avec le portrait du défunt, mais aussi de nombreux jeunes collégiens et lycéens, libres jusqu'à lundi prochain de leur engagement scolaire. Quelques manifestants ont pris la parole pour évoquer le parcours et le combat de Chokri Belaïd et appeler à punir les responsables. Les discours improvisés, les slogans et les affiches étaient accablants pour le gouvernement Ennahdha et le ministère de l'Intérieur. Ensuite, le rassemblement s'est dirigé vers ce dernier, criant en chœur «le peuple veut la chute du régime», dans une avenue en surcharge policière. Très vite, ce mouvement s'est essoufflé et il n'en restait que des petits groupes ici et là. L'ambiance restait tout de même tendue, surtout en présence de cagoulés prêts à agir au signal. En début d'après-midi, on apprenait par téléphone la décision de l'Union générale tunisienne du travail de décréter la grève générale aujourd'hui. Quelques rassemblements de jeunes se sont reformés sans scander de slogans. Des mouvements de panique ont également eu lieu, suivis de tirs éparpillés de gaz lacrymogène. La majorité de ce qui restait des manifestants s'est dispersée dans les rues parallèles et adjacentes. Peu à peu, l'avenue Bourguiba a enregistré le retour des passants et aurait, sans doute repris une allure quasi normale, sans les rideaux baissés des commerces et la présence massive de policiers, surtout aux alentours du ministère de l'Intérieur. Cette avenue Habib Bourguiba, qui a eu le dernier mot un certain 14 janvier 2011, semblait en somme, dans une sorte de gueule de bois, suite à la journée mouvementée d'avant-hier. Peut-être, était-elle en même temps dans l'attente de ce qui se passera aujourd'hui, pour dire à nouveau son dernier mot ?