Par Hilel OUALI Lors de la grande discorde (35-40 ans de l'Hégire), qu'a connue le nouvel état islamique naissant et dont les répercussions ne cessent jusqu'à aujourd'hui de tourmenter le monde musulman, Mouaouiya Ibn Abi Sofiane, en fin politicien et stratège, a profité de l'assassinat du troisième kalife Othman Ibn Affan pour ravir le pouvoir au quatrième kalife Ali Ibn Abi Taleb, adoubé, pourtant, par les compagnons du prophète. Au bout de cinq ans de troubles, Mouaouiya finit par changer le système politique à jamais en le faisant passer de l'élection consensuelle (choura) au règne familial. Mouaouiya, alors gouverneur de l'actuelle Syrie, s'est empressé d'accuser Ali d'être l'instigateur de l'assassinat d'Othman, refusant de le reconnaître comme nouveau kalife et appelant à venger sa mort. Pour ce faire, il a exhibé la chemise d'Othman tachée de son sang pour haranguer les foules, soulever des appuis pour réclamer vengeance. S'en est suivie une guerre fratricide qui a débouché sur l'abdication d'Ali et son assassinat et ouvrant la porte à un schisme divisant à jamais les Musulmans en sunnites, chiites et autres kharijites. A bien des égards, ce que vit la Tunisie actuellement, suite à l'assassinat lâche du militant Chokri Belaïd, ressemble, toutes proportions gardées, aux prémices de la grande discorde. Une fois l'onde de choc passée, tous les partis politiques se sont empressés de désigner la Troïka au pouvoir comme le premier responsable direct ou indirect de cet assassinat, poussant avec l'appui des médias vers une analyse manichéenne très simpliste et réductrice de cet événement. Et alors que tout le monde était sous le choc et s'attendait à des messages d'assurance et de rassemblement, nos politiciens, voyant dans cet assassinat politique une aubaine sans précédent pour régler leurs comptes avec la Troïka, ont brillé par des envolées plus lyriques les unes que les autres, allant de la simple démission du ministre de l'Intérieur jusqu'a l'appel à la dissolution de l'Assemblée constituante. Aucune voix appelant au calme et à la paix civile mais des flots d'accusations et de contre-accusations plongeant le pays dans un désarroi digne de l'après-14 janvier 2011. Mais alors qu'au 15 janvier nous étions tous unis, n'ayant qu'un seul ennemi, nous voilà le 6 février 2013 divisés avec des ennemis à tour de bras. A leur encontre, lors d'une cérémonie d'enterrement solennelle, les Tunisiens, toutes tendances politiques confondues, ont montré qu'ils étaient plus à la hauteur de cet événement tragique que l'ensemble d'une classe politique cherchant à tirer le plus de dividendes politiques possibles de cet assassinat. Force est d'admettre que l'intérêt individuel et partisan l'emporte sur l'intérêt national. Le soir même, chaque parti a exhibé sa chemise d'Othman, pour poser ses doléances politiques, exiger, condamner, accuser, récuser, blâmer et tout le lexique belliqueux avec un abattage médiatique digne des grandes chaînes d'informations US. Dans tout ce brouhaha, aucune voix de sagesse et de concorde; à croire que ce pays n'en compte plus aucune. Résultat des courses, le pays est plus que jamais divisé et la fracture semble trop profonde pour être colmatée avec des déclarations d'intention alors que les actes et les paroles sont tout autres. Pendant ce temps, le pays vacille de partout avec les atermoiements du gouvernement pour la formation ou le changement de l'équipe dirigeante, agrémenté du syndrome du «je t'aime moi non plus» entre les trois partenaires de la trinité, le tout sur fond d'imbroglio politico-juridique qu'on croirait sorti tout droit de l'imaginaire des journalistes Bob Woodward et Carl Bernstein. Si cet assassinat a dévasté le pays tout entier, il peut aussi a contrario rassembler de nouveau tous les Tunisiens à condition que notre classe politique veuille bien écouter la voix de la sagesse et privilégier un tant soit peu l'intérêt national sur l'intérêt politco-politicien strict. La grande discorde musulmane a, à jamais, scindé les Musulmans et d'aucuns souhaitent que notre petite discorde aboutisse au même résultat. L'effet papillon nous guette... Cet assassinat est un grand malheur qui s'est abattu sur nous, mais ne dit-on pas qu'à quelque chose malheur est bon? Fallait-il en arriver là pour autant ?