Face à l'augmentation soutenue et souvent injustifiée des prix dans tous les secteurs, à la dégradation du pouvoir d'achat notamment de ce qui fut la classe moyenne et des catégories plus pauvres, à l'augmentation préoccupante de l'inflation, et en l'absence de tout indice d'accalmie, proche ou lointaine, des tendances, l'Organisation de défense du consommateur lance un signal de détresse. L'organisation appelle tous les intervenants et partenaires à prendre les mesures draconiennes nécessaires, à commencer par l'instauration du gel des prix à la vente pour au moins deux ou trois mois et la lutte efficace contre la contrebande sauvage. Avant qu'il ne soit trop tard. Vendredi dernier, l'ODC a ameuté tout le monde pour débattre, dans le cadre d'une table ronde, de l'insoutenable flambée des prix et de ses tenants et ses aboutissants, avec pour objectif de trouver des solutions urgentes et adéquates. Les membres du bureau de l'ODC, visiblement inquiets, avaient déjà opté pour une solution qu'ils estiment incontournable : le gel (blocage) provisoire des prix (2 à 3 mois), selon les articles 2 et 4 de la loi n°64 de 1991 portant sur les prix et la concurrence. Toutefois, convaincus que la responsabilité de remédier à la situation nécessite l'implication de tous les intervenants et partenaires, les membres de l'ODC ont fait appel à ces derniers (présidence du gouvernement, ministères du Commerce et de l'Agriculture, Ugtt, Utap, BCT, marché de gros de Bir El Kassaâ, INS, experts en finances) pour décider ensemble de ce qui doit être entrepris dans les plus brefs délais. En l'absence de l'Utica, pourtant conviée à participer aux débats, la réunion aura duré quatre heures et la question abordée sous tous ses angles. Constats alarmants Inutile de se jeter mutuellement la balle et rejeter la responsabilité à l'une ou l'autre partie, «les constats sont faits, les prix ont considérablement augmenté, le pouvoir d'achat des Tunisiens a dégringolé, les pénuries de produits alimentaires, notamment ceux compensés, se multiplient, des pratiques illicites comme la contrebande et le monopole prennent de l'ampleur et paralysent les circuits de distribution agréés, le consommateur est éreinté et ne voit aucune lueur d'espoir en l'absence d'un système de contrôle efficace», affirme, d'emblée, le président de l'ODC, M. Lotfi Khaldi, qui ne va pas par quatre chemins pour rappeler ce que tout le monde sait en dépit de toutes les justifications que l'on peut avancer. Ces justifications présentées comme causes essentielles de l'augmentation des prix diffèrent d'une partie à une autre. Pour les uns, notamment les deux représentants de la Banque centrale, ce sont les augmentations salariales décidées au moment où le pays fait face à une croissance négative ou faible, pour les autres, ce sont le manque de productivité, l'incapacité de l'Etat à réprimer les pratiques commerciales illicites (contrebande, monopole) et les contrevenants, sans oublier les augmentations exagérées et non justifiées des prix de certains produits. «Les plus importantes augmentations ont touché les produits non compensés qui représentent 85% des produits commercialisés, l'augmentation a atteint 7%; tandis que les produits compensés ont connu une augmentation de 3%», explique M. Mourad El Hattab, directeur à la STB (direction centrale des études et du contrôle de gestion). Ce qui explique les augmentations-surprises des prix des produits que l'on découvre à la caisse des grandes surfaces, par exemple. L'expert insistera également sur la non-proportionnalité des augmentations entre les prix à la consommation, d'une part, et les salaires, d'autre part, soit un glissement de 30% au niveau des prix contre 10% pour les salaires. Une chose est sûre, le problème est encore plus complexe et plus profond, dépassant la dynamique des prix pour toucher ce que les économistes redoutent le plus, à savoir l'inflation qui a atteint un seuil préoccupant de 6% en janvier 2013. «C'est un virus qui est difficile à traiter surtout dans notre contexte actuel: économie de marché et libéralisation des prix d'un côté, et, de l'autre, recul de la productivité, prolifération du marché parallèle et absence de l'Etat en termes de contrôle et de régulation du marché (déséquilibre profond entre l'offre et la demande à cause de la contrebande et du monopole anarchique, ndlr) », explique encore l'expert. Réticences des uns et soutien des autres L'ODC n'est pas la seule partie à défendre l'idée du blocage des prix. L'organisation est soutenue par la centrale syndicale, Ugtt, qui souligne à travers son représentant , M. Nasreddine Sassi, que les augmentations salariales sont la conséquence des augmentations abusives des prix et de la faiblesse des interventions de l'Etat face aux réseaux de la contrebande qui agissent au vu et au su de tous, en toute impunité. En revanche, les réticences sont claires du côté de la BCT et la carte de la prudence est proposée par le ministère du Commerce. «Quelles que soient les mesures prises, l'inflation va se creuser encore davantage, car on va procéder à un nouvel ajustement des prix sur les produits compensés; le gel des prix va alourdir encore plus la charge de l'Etat et aggraver la situation de la caisse de compensation, qui va donc supporter l'écart au niveau des prix», explique à son tour M. Fadhel Saddam, directeur général adjoint à la BCT. Du côté du ministère du Commerce, la solution se situe entre les deux positions précédentes c'est-à-dire une limitation provisoire des prix . «Avant d'appliquer une trêve des prix, il faudra s'entendre d'abord sur un plafonnement qui contente toutes les parties, c'est-à-dire qui garantit une marge bénéficiaire raisonnable pour les commerçants et producteurs», suggère M. Chokri Dérouiche, directeur général de la concurrence et des enquêtes économiques. Une fois les prix fixés à un niveau «raisonnable», ils pourront être bloqués provisoirement. Pour cela, des réunions marathoniennes doivent être tenues avec tous les partenaires et en premier lieu l'Utica, propose le représentant du ministère du Commerce. En attendant, toutes les parties présentes ont recommandé l'augmentation des opérations de contrôle et l'application des textes juridiques en vigueur pour mettre un terme au trafic des produits alimentaires (agricoles et autres) à travers les frontières du sud et de l'ouest. Il restera toujours la question de savoir qui peut garantir l'application des décisions. «C'est difficile d'imposer un blocage des prix à tout le monde même si la décision sera prise. Nous avons déjà eu des problèmes de ce genre qui finissent pas des procès et des contentieux judiciaires», souligne Mme Basma Jebali, du service des contentieux du ministère du Commerce. En d'autres termes, ce gel n'aura lieu que si toutes les professions en seront convaincues et qu'elles s'engagent à le respecter pour le bien de tous. Pas si sûr. A ce rythme, il faut craindre que le sentiment de frustration ne baisse pas chez le consommateur et que ce sentiment ne se transforme en revendications sociales après que celles-ci eurent connu une diminution de 22% en 2012 (chiffre donné dans la loi de finances 2013).