Une cinquantaine de noms d'auteurs tunisiens figurent dans les programmes scolaires Plus de 800 titres publiés jusqu'à nos jours (plus de 150 romans et nouvelles) Incapacité de la critique littéraire à « forger » de nouveaux noms Un jeune Egyptien ou un jeune Français se retrouvent aisément dans la lecture des romans et des œuvres de création littéraire qu'ils ont à leur disposition. Des auteurs populaires de grand renom emplissent la scène et chaque lecteur peut s'identifier à l'un d'eux et revivre des histoires de fiction, directement liées à sa réalité sociale, culturelle et identitaire. Cet atout s'explique par plusieurs raisons. Il n'est pas possible pour nous, aujourd'hui, d'entrer dans le détail de cette affaire. Toutefois on peut penser que le rôle de l'édition et des traditions dans ce domaine sont moins complexes qu'en Tunisie. Dans le monde arabe (Liban, Egypte, l'Irak d'avant-guerre...), le livre était développé. C'était même une industrie. En Tunisie, aussi, le commerce du livre était plus florissant (STD, MTE, sans parler des autres maisons d'édition privées). C'est à travers cette voie, particulièrement, que l'on peut assister à l'émergence de noms dans le domaine de la littérature. Le lecteur doit être préparé et familiarisé avec des noms d'écrivains et de penseurs à partir de l'école et des facultés, en passant par les lycées. Cela, en plus de la scène culturelle, dans son ensemble. Choix très sélectifs Est-ce le cas, de nos jours? Rien n'est moins sûr. Nos établissements scolaires et universitaires remplissent-ils leur tâche de faire connaître nos hommes de lettres passés et contemporains? Ces différents auteurs ont-ils la place qui leur revient de droit dans les programmes éducatifs officiels? Dans un cas comme dans l'autre, quelle est la part de responsabilité des différentes parties dans ces carences ? En réalité, les enseignants sont quasiment unanimes sur le fait que nos jeunes savent peu, très peu, de nos hommes de lettres, écrivains et autres auteurs et poètes, anciens et nouveaux. Et ce n'est pas leur faute. Ce sont les programmes officiels appliqués dans les établissements d'éducation, depuis des décennies qui sont à la source de ces déficiences graves. Il ne s'agit pas de simples omissions ou de choix très sélectifs sans arrière-pensée. On peut déceler, à travers une liste assez exhaustive des auteurs du programme, un fil conducteur. La collaboration de M.Mohamed Salhi (professeur d'arabe à la retraite) nous a permis de recenser plus de 50 noms d'auteurs tunisiens, plus ou moins connus, qui sont étudiés dans les manuels d'arabe de la 7e année de base à la 4e année secondaire. (Voir liste) On sent que le choix de certains noms n'est pas gratuit, ni innocent. La politique est passée par là. Mais les accointances, les copinages ont joué, aussi. Mais quelles que soient l'option et les raisons qui se cachent derrière l'introduction d'un auteur dans les programmes officiels, l'essentiel demeure l'étude d'un travail réalisé par un Tunisien et reproduisant, autant que faire se peut, un environnement familier et proche du lecteur. Ce qui ne pourrait pas être le cas pour d'autres œuvres, fussent-elles d'origine arabe. De nombreux titres méritent plus d'intérêt Jusqu'à présent, nos enfants sont formés à base de lectures et d'études de textes en grande majorité autres que tunisiens. Néjib Mahfoudh, Taoufik Al Hakim, Abou Nawwass, Attawhidi, Al Maârri etc... nourrissent, ou ont nourri, l'imaginaire de plusieurs générations. Jusqu'à quand ? On ne sait trop. Il n'est pas demandé de supprimer ces titres ou ces auteurs. A tout le moins, veut-on placer la culture nationale au centre de l'opération d'apprentissage et d'ancrage dans les valeurs liées à notre patrimoine et repositionner ces mêmes valeurs dans le contexte universel. On remarque, aussi, que même les livres recommandés par les professeurs dans les activités de lecture sont rarement d'auteurs tunisiens. Il est vrai que dans les petites classes, on étudie Ali Douâji et son œuvre Sahertou minhou ellayali. Mais cela n'est pas suffisant. D'autres titres doivent être programmés et recommandée pour la lecture suivie. Notre professeur, M. Salhi, cite des ouvrages de Béchir Khraïef, Mohamed Laroussi Métoui, Mohamed Salah Al Jabiri et Béchir B. Slama (quoique avec un peu de réserves)... De nombreuses œuvres méritent d'être recensées, étudiées et mises à profit pour les différentes générations de scolaires. Le ministère de l'Education a une mission très urgente dans l'élaboration des programmes. Il est appelé à tout faire pour mettre à la disposition des enseignants et des élèves une véritable banque de données sur nos auteurs et penseurs. Actuellement, il est aberrant de ne pas pouvoir se procurer une bonne biographie d'un auteur inscrit au programme officiel, à l'exception d'une petite note apposée dans un coin du manuel. C'est le cas de Barg ellil de Béchir Khraïef qui raconte une histoire typiquement tunisienne, dans un contexte politique et historique précis. Et c'est ce qui peut avoir comme mérite de mettre la fiction au service de l'identité et de l'enracinement dans le réel. Un autre exemple serait celui de l'œuvre de Ezzedine Al Madani, notamment dans sa tétralogie théâtrale (on en citera deux au moins : La révolte de l'homme à l'âne ou Al Hallaj). Les pièces théâtrales sont très rarement imprimées et mises à la portée d'un large public. Où sont nos critiques littéraires ? La collaboration de l'Union des écrivains tunisiens serait impérative. Le ministère de la Culture n'est pas à exclure de cette opération de sauvegarde de la mémoire nationale. Mais vu son absence totale de la scène, à part l'aide qu'il consent en acquérant un certain nombre d'exemplaires (jusqu'à 200) des titres qui lui sont soumis, il n'y aurait rien à en attendre (ce ministère ne dispose même pas d'un site web !). Il est possible, aussi, d'associer des compétences et des chercheurs affirmés dans ce domaine pour apporter leurs connaissances dans les travaux d'archivage et de répertoire. Il n'est plus possible de continuer à faire un travail de remplissage des manuels sans aucune stratégie culturelle et pédagogique. Car l'absence, ou le manque, de critiques littéraires confirmés est, peut-être, à l'origine de cette désertification culturelle. Nous comptons des centaines d'écrivains anciens et nouveaux (il y aurait plus de 730 affiliés à l'Union des écrivains de Tunisie), mais la critique n'est pas capable de former, de forger et d'imposer des personnalités comme de vrais auteurs à part entière. Tous les créateurs végètent sans connaître leur valeur réelle, ni leur compétence. C'est parce que, nous semble-t-il, nul n'est prophète en son pays. Et on attendra longtemps, très longtemps, avant de trouver un grand auteur tunisien lu et reconnu par la plupart des gens de lettres. La «fabrication» de figures littéraires n'est pas notre fort. Pourtant, les travaux contemporains publiés jusqu'à nos jours compteraient plus de 800 titres. Plus du tiers serait des recueils poétiques. Parmi ces livres, il y aurait pas moins de 150 romans et nouvelles. Comment peut-on concevoir que dans cette quantité de publications, il n'y ait rien de valable ? Un titre qui s'impose, qui fasse parler de lui ? Qu'on «commercialise», dans tous les sens du terme, en mettant le livre local dans les mains des nombreux lecteurs tunisiens et autres? Les auteurs figurant aux programmes Ibrahim Labidi, Aboul Kacem Chebbi, Ahmed Khaled, Ahmed Loghmani, Béchir Khraïef, Bouraoui Ajina, Taoufik Baccar, Jaâfar Majed, Jamila Mejri, Hassen Hosni Abdelwaheb, Hassen Nasr, Hafidha Gara, Rachid Idriss, Ridha Methnani, Radhouane Kouni, Riadh Zghal, Sadok Rabeh, Sadok Gassouma, Tahar Khemiri, Tahar Guiga, Taieb Baccouche, Achour B.Fguira, Abdejabbar Chérif, Abdessatar Ibrahim, Abderrahman Guiga, Abdelaziz Kacem,Abdelwahed Brahem, Abdelwaheb Bouhdiba, Ezzedine Madani, Ali Douagi, Farouk Chaâbouni, Med Béji Messaoudi, Mohamed Boudhina, Mohamed Jouili, Mohamed Hlioui, Mohamed Ridha Kéfi, Mohamed Salah Jebri, Mohamed Laroussi Métoui, Mohamed Ghozzi, Mohamed Mokhtar Jannet, Mohamed Hechmi Troudi, Mahmoud Belaid, Mohiédine Khraief,B.Jemaâ, Mahmoud Tarchouna, Masssouda Boubaker, Mustapha Fersi, Mongi Zbidi, Midani B. Salah, Noureddine Sammoud, Noureddine El Hani, Yahia Mohamed, Yahia Yakhlef, Youssef Abdel Ati... Cette liste est sûrement discutable. De même, la présence ou l'absence de certains noms suscite des questionnements légitimes. Les réponses les plus logiques se trouveraient dans la politique. Des noms comme ceux de Mzali ou Ben Slama, par exemple, ont été imposés, ou supprimés, selon les aléas et les humeurs des décideurs. Messaâdi aurait bénéficié de sa position de ministre de l'Education et d'une certaine influence politique. Son œuvre philosophique n'aurait rien à voir avec la fiction littéraire. Mais d'autres noms mériteraient de monter sur le piédestal, longtemps resté le monopole d'auteurs qui ont fait leur temps. A.C.