24.898 élèves ont subi des agressions morales et physiques Le constat est accablant. L'Organisation tunisienne pour la défense de l'élève vient de publier le rapport d'une enquête qui a couvert plusieurs établissements scolaires du pays. Les lycées des régions et quartiers populaires périphériques de la capitale sont les plus touchés par des agressions tant morales que physiques. De Zeramdine à Oued Ellil et Mnihla, et de Mateur en passant par Gafsa, une huitaine au minimum d'établissements listés par l'enquête ploient sous de graves abus perpétrés par des groupes salafistes sur les élèves, durant les deux premiers trimestres de l'année scolaire 2012/2013. Les premières alertes ont été émises par des parents impuissants, complètement dépassés, ne sachant que faire ni à qui s'adresser. Les doléances parentales parvenues à l'organisation racontent la tactique du fait accompli de certaines associations radicalisées, nominativement désignées par le rapport. Lesquelles, au mépris des dispositions légales du respect de l'ordre public, installent en face des lycées des tentes de prédication, munies de haut-parleurs puissants. Elles diffusent des prêches sévères destinés aux jeunes «impies». Ceux qui tournent le dos aux préceptes de l'Islam pur. Le chant, la danse, la mode, Facebook et autre «Harlem Shake», décrètent les sermons, sont des agissements prohibés que Dieu punira sévèrement un autre jour. Les châtiments divins «mérités» commenceront par les tourments de la tombe, leur annonce-t-on. Les jeunes élèves sermonnés de loin, subissant à leur corps défendant ces lavages de cerveau méthodiques, via mégaphones à longue portée, se voient déstabilisés et empêchés physiquement d'écouter le professeur. Le volume sonore s'invitant à l'intérieur même des salles de classe. Mohamed Amine Krifi, président de cette jeune organisation, décrit à La Presse la gravité de la situation. Les témoignages et les vidéos déposés à l'association font état d'abus manifestes à l'encontre des élèves, sans qu'il y ait la moindre réaction du département de tutelle. Le conseiller pédagogique, alerté dans certains cas, a mis en avant l'incapacité d'intercéder, «les événements se tiennent en dehors de l'enceinte des établissements». La méthode de sape des fondements du système éducatif va plus loin. Les associations salafistes ciblent les périodes d'examen pour se déployer en grande pompe devant les lycées, et perturber le déroulement des épreuves. La politisation des lycéens représente l'autre versant du danger qui guette cette population fragile. Certains professeurs, interceptés par l'organisation, séparent les élèves par genre dans leurs classes, donnent des sujets d'expression écrite orientés, et inculquent en marge de leurs cours ce qu'ils considèrent comme les dogmes de l'Islam, à l'instar de l'exigence du port du voile intégral pour les filles. Des chiffres inquiétants et de l'inaction Selon les enquêtes, plus de 30 tentes ont été dressées cette année devant des lycées, ne respectant ni la loi, ni le décret 88, en date du 24 décembre 2011, portant organisation des associations. Le rapport avance un autre chiffre autrement plus inquiétant, 24.898 élèves ont subi des agressions morales et physiques. Cette grave violation de la loi précisément de l'article 19 du code de la protection de l'enfant, qui édicte l'interdiction d'utiliser l'enfant, de l'influencer, et de lui inculquer des idées nuisibles pour lui-même et pour la société, ne semble pas être un argument suffisant pour le ministère de la Femme et de la protection de l'enfant pour agir. Les parents parlent de méthodes malhonnêtes et illégales qui ne respectent ni la loi ni la morale, pour attirer leurs enfants et les détourner de leurs cours. La distribution de billets de 5 dinars et de berlingots de jus de fruits figure dans la liste des méthodes de ces détournements en bonne et due forme. Objectif : inculquer à la place des maths et de l'histoire-géo, des langues et de la philo, des idées radicalisées de la haine et d'incitation à la violence, dangereuses pour les élèves, pour leurs familles et pour la société d'une manière générale. L'association forte de sa jeunesse et ses convictions avait déjà entrepris un certain nombre d'actions. La semaine prochaine, celle-ci envisage de signaler les cas de harcèlement subis par une dizaine de filles dans les lycées. Quand l'Etat, avec son appareil, est aux abonnés absents, c'est la société civile qui agit. Cette organisation tunisienne pour la défense de l'élève a seulement un an d'existence, fait un travail remarquable, suppléant, autant que faire se peut, au manquement grave des autorités. Travail digne de respect, si l'on tient compte de l'âge des membres du bureau exécutif de l'association, tous des lycéens. Le président n'a que dix-sept ans ! Il a pris soin de préciser à La Presse que le rapport ne vise pas l'ensemble des salafistes, mais seulement les associations qui sont responsables de tels agissements. Une précaution rhétorique qui laisse découvrir les pressions subies après la publication du rapport.