Aujourd'hui, au moment où l'économie tunisienne fait face à une crise et où l'investissement est en berne, la Bourse de Tunis peut se targuer de rayonner. En effet, les opérations d'introduction qu'on compte depuis quelques mois se multiplient. Fadhel Abdelkefi, qui est à la tête du conseil d'administration de la BVMT depuis avril 2011, se dit, plutôt, satisfait que les choses commencent à bouger, il affirme, à ce propos, qu'aujourd'hui, grâce notamment aux efforts déployés pour renforcer l'information et la communication et le travail accompli par la corporation des intermédiaires en Bourse, tous les intervenants, aussi bien les pouvoirs publics que les opérateurs privés, ont compris que la Bourse est prête à financer l'économie. Revenant sur les avantages de la cotation en Bourse, il rappelle que la cartographie actuelle du secteur privé national permet de constater que c'est un secteur, substantiellement, constitué de sociétés familiales, de sociétés, généralement, créées vers la fin des années 70 et qui sont aujourd'hui à leur deuxième, voire troisième génération de gestionnaires. Une phase plutôt critique du fait, relève-t-il, que des statistiques, faites à l'échelle mondiale, ont montré que seulement 10 à15% des entreprises familiales survivent à la troisième génération. L'alternative du marché financier est identifiée comme l'une des solutions les plus appropriées pour assurer la pérennité de ces entreprises. «Une option qui leur permet, notamment, d'avoir une valeur boursière et d'augmenter leurs fonds propres», précise, encore, F. Abdelkefi, qui ajoute, dans ce même ordre d'idées, qu'il n'est plus possible, aujourd'hui, de continuer avec un modèle où le financement des projets se fait à hauteur de 70% grâce au crédit. Il s'agit, là, de considérer le marché financier comme complément au secteur bancaire. Il souligne, par ailleurs, que la Bourse facilite la transmission optimale de l'entreprise, lui permet de renforcer ses fonds propres et d'avoir plus de notoriété ainsi qu'une meilleure perception aussi bien à l'échelle nationale qu'internationale. Par ailleurs, ajoute-t-il, il est important de savoir que les opérations d'introduction en Bourse sont fort bénéfiques à l'Etat car «une entreprise cotée est, substantiellement, plus transparente, une entreprise qui doit rendre des comptes, publier ses indicateur d'activité de façon régulière, tenir des assemblées publiques, ouvrir son conseil d'administration à des administrateurs indépendants et être sous la surveillance des analystes financiers des intermédiaires en Bourse et du régulateur (CMF) ». Ainsi, on peut retenir que l'introduction en Bourse génère une nette amélioration de la gouvernance d'une entreprise tout en lui permettant de réinvestir, de créer de nouvelles unités de production et de s'internationaliser, sachant que la Bourse est une sorte de «label de qualité». Il y a lieu, cependant, de s'interroger sur ce que peut apporter ces entreprise qui vont sur le marché financier à l'économie et au pays. Notre interlocuteur évoque, ici, la représentativité de l'économie et note que la Bourse de Tunis continue, aujourd'hui, à être non représentative de notre économie, il rappelle, à cet effet, qu'aucune entreprise télécom, ni textile, ni agricole, ni touristique n'est, aujourd'hui, cotée et de souligner, au passage, qu'il s'agit, pourtant, de secteurs importants qui pèsent lourd dans la structure du PIB. Dans ce même cadre, il précise que le comportement de l'indice n'est, de ce fait, pas très indicatif et s'avère incapable de refléter la santé de l'économie réelle. Introduire une entreprise en Bourse serait aussi, selon F. Abdelkefi, une façon de faire profiter le personnel de l'actionnariat et d'instaurer, ainsi, une autre culture d'entreprise, pourquoi les grandes entreprises tunisiennes aussi bien privées que publiques continuent-elles à tourner le dos à la Bourse ? À cette question, le président de la BVMT répond que le principal obstacle demeure culturel et lié à un problème de perception. «Il est, en effet, difficile de convaincre les gestionnaires d'une entreprise familiale qui est restée, pendant des années, fermée sur elle-même, des vertus de la Bourse: les entrepreneurs ont pris l'habitude d'aller voir leurs banques dès qu'ils ont une bonne idée et c'est ce qui fait, aujourd'hui, ce déséquilibre entre des fonds propres faibles et une dette très importante», précise-t-il encore. Il pense, en outre, qu'il est important que le banquier tunisien qui se contente, aujourd'hui, de faire principalement, de la dette, soit plus impliqué et propose à ses clients des solutions alternatives, telle celle véhiculée par le marché financier affirmant qu'en tant qu'intermédiaire en Bourse il serait, complètement, favorable à ce que les banquiers commerciaux créent, comme ça se fait partout dans le monde, des banques d'investissement qui conseillent les entrepreneurs. Si le problème qui continue à retenir les entrepreneurs privés d'aller sur le marché financier est, principalement, culturel, du côté des entreprises publiques, la question reste, selon F. Abdelkefi, liée aux choix des politiques économiques du gouvernement, notamment, en matière de privatisation partielle des entreprises publiques. Il rappelle, dans ce cadre, que l'Etat tunisien détient, directement ou indirectement, la totalité du capital de nombre de grandes entreprises dont la gestion pèse lourd dans son budget. Ces entreprises gagneraient, selon lui, à s'introduire en Bourse afin de renflouer leurs fonds propres et d'être plus réactives. «Sans défendre une privatisation sauvage qui fera payer, en premier lieu, les employés, je pense qu'une mise sur le marché de ces grandes entreprises permettrait de soutenir le budget de l'Etat et de collecter des fonds qui pourraient servir à financer le développement régional», ajoute-t-il encore. Fadhel Abdelkefi affirme, enfin, que l'ambition de la Bourse de Tunis, à savoir celle de devenir représentative de l'économie, d'avoir une capitalisation d'environ 70 milliards de dinars (contre 15 milliards aujourd'hui), de financer l'économie à hauteur de 25% (contre 5% aujourd'hui) et de compter environ 350 entreprises cotées, est à la fois légitime et réaliste car, estime-t-il, «la Bourse est la vitrine de toute économie, que ce soit dans un gouvernement de gauche ou de droite».