Par Mustapha ZGHAL* Plus d'une fois, on me demande ce qu'est un professeur émérite qui a pour équivalent, chez nous en arabe : ostez motamayiz littéralement excellent professeur. Cela est compréhensible puisque l'appellation est nouvelle et n'a pas été utilisée auparavant. C'est le décret numéro 93-1825 du 6 septembre 1993 fixant le statut particulier des enseignants chercheurs des universités qui a créé pour la première fois ce titre avec cette appellation. Ce titre est accordé par le ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique aux professeurs de l'enseignement supérieur qui arrivent à l'âge de la retraite et qui demandent à continuer à diriger les travaux des chercheurs au master et au doctorat et à participer à des jurys d'évaluation ou animer des séminaires. En tant que retraité, il perçoit comme tout le monde sa pension de retraite. S'il prend la charge d'enseignement de quelques heures, il sera payé en tant que vacataire. La participation à des jurys de master, de thèse ou d'habilitation est une activité assurée bénévolement, il en est de même de l'encadrement des chercheurs. Le titre étant alléchant et permettant de garder contact avec l'institution d'origine, il a été demandé par la plupart des collègues arrivés à l'âge de la retraite et il a été largement accordé à tout le monde sauf rares exceptions souvent non justifiées. Certains parmi cette pléiade ont continué à travailler sérieusement, c'est-à-dire : encadrer des thèses et des mémoires, rédiger des articles et présenter des communications et parfois même prendre des charges d'enseignement, surtout que le ministère a créé un cadre juridique permettant aux P. E. de conclure un contrat expert avec le ministère : enseigner 24 heures par mois moyennant une rémunération pendant dix mois par an, en tant que complément de pension. D'autres professeurs émérites se sont contentés de bénéficier de l'aspect honorifique du titre sans aucune valeur ajoutée pour l'université ou pour les étudiants. Après la révolution, le ministère et les universités ont cherché à codifier la nomination des P. E. en instituant des critères précis afin de rendre le titre octroyé vraiment bien mérité et servant des objectifs bien déterminés. A ce niveau, il y a lieu de faire deux remarques, d'abord il ne faut pas multiplier les critères et rendre la nomination presque impossible ou en dehors de la portée de tous. A mon avis, le meilleur critère étant l'engagement du P. E. à travailler, c'est-à-dire encadrer les chercheurs et poursuivre la production scientifique (communications et publications scientifiques). Après tout, on a toujours besoin de professeurs directeurs de recherche, surtout lorsqu'il s'agit d'enseignants chercheurs ayant une longue expérience. Tant qu'il y a de la valeur ajoutée espérée, on ne doit pas refuser le titre à quiconque — à moins qu'il y ait des raisons valables– puisque l'encadrement ne coûte rien à l'Etat. De même l'âge de la retraite, qui est passé de 60 à 65 ans, reste en deçà de l'âge de l'incompétence. Aujourd'hui, une personne de 80 ans et même plus, peut être en bonne santé et peut assurer convenablement des cours, séminaires et diriger des travaux de recherche de qualité. Cela étant, on peut se demander quels sont les avantages que peut recevoir ce professeur émérite. Il est évident – nous l'avons dit auparavant – que son activité est non rémunérée sauf s'il enseigne et dirige des séminaires. Simplement, il lui est demandé d'être actif sur le plan scientifique. Cependant, son activité scientifique peut lui occasionner des charges financières importantes que l'administration refuse – jusqu'à présent— de lui couvrir et c'est là le point crucial à traiter. Faut-il commencer par préciser que l'activité de recherche et d'encadrement suppose nécessairement des frais : une communication acceptée par un séminaire organisé par une université étrangère ou une association scientifique exige financement. De même, la participation à un jury de thèse préparée dans le cadre d'une convention de cotutelle et devant être soutenue en France ou ailleurs nécessite aussi financement. D'ailleurs, d'après le règlement universitaire, la soutenance ne peut se faire sans la présence du directeur ou des co-directeurs de recherche. Or d'après la réglementation de la Fonction publique tunisienne, un professeur émérite est tout simplement un retraité, donc non éligible à des missions officielles ou à un financement quelconque sous prétexte que le lien avec l'administration a été rompu par l'arrivée de la retraite oubliant que le titre de P. E. a rétabli ce lien. Même quand le P. E. bénéficie d'un contrat-expert lui permettant d'enseigner moyennant rémunération, l'administration du ministère et celle de l'université répondent qu'il est considéré avant tout comme retraité sans regarder ni le titre P. E. ni le contrat-expert. Devant cette interprétation restrictive de la réglementation, le P. E. se trouve contraint de débourser de sa poche tous les frais de missions (voyages et séjours). Il préfère sacrifier l'argent que sacrifier le doctorant. De même, il préfère honorer les engagements pris par nos institutions universitaires sous peine de les discréditer par manquement aux obligations. Comme tout enseignant chercheur, le P. E. a besoin de participer aux colloques internationaux pour suivre l'évolution de la pensée, des méthodes et des théories dans sa discipline, sinon il sera dépassé et ne pourra plus suivre le mouvement de la science. Ce qui est sûr, c'est qu'il y a une faille quelque part. On ne peut pas, d'un côté, prétendre encourager la recherche, aider les doctorants à terminer leurs études doctorales dans les délais et promouvoir les thèses en cotutelle et, de l'autre côté, priver les P. E. de toute aide financière pour des missions à l'étranger. Assurément, cette situation est vraiment aberrante. Le P. E. peut supporter la charge une fois, deux fois, trois fois peut-être... mais pas toutes les fois. Il finira par se lasser, il finira par abandonner. A plusieurs reprises, l'attention de l'administration a été attirée sur cette contradiction, mais la réponse a été toujours invariablement la suivante : «comme Dieu, l'administration a toujours le dernier mot, la loi c'est la loi et on ne peut pas transgresser la loi». En France, la situation est complètement différente. Un P. E. a les mêmes droits qu'un professeur en exercice. Il est financé quand il se déplace pour un séminaire et il est pris en charge sous forme de mission officielle quand il doit assister à une soutenance de thèse. Est-ce qu'on va suivre enfin l'exemple de nos collègues français? Il semble que oui. En effet, je viens d'apprendre dernièrement que nos responsables post-révolution et à leur tête monsieur le ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique se penchent actuellement sur la question et probablement qu'un nouveau texte est en train d'être discuté pour permettre ce qui a été refusé pendant longtemps. Notons enfin qu'une association des P. E. dans les universités tunisiennes,vient de voir le jour (JORT numéro 44 du 11 avril 2013 page 2205) avec à sa tête le professeur émérite Chadli Ayari. Elle a pour objectif, à travers des études et des débats, d'élever le niveau de nos diplômes universitaires, de contribuer à la réforme globale de l'université, de mettre en avant le partenariat maghrébin de la recherche scientifique et de servir en tant qu'instance de conseil pour les décideurs politiques. Le siège social provisoire de cette nouvelle association se trouve à la Fondation Temimi pour la recherche scientifique et l'information (Centre Urbain Nord. Immeuble de l'Excellence 1003 Tunis). Souhaitons que cette association fasse en sorte que ces P. E. trouvent les moyens nécessaires et les conditions favorables pour mener à bien leur noble mission d'encadrement et de promotion de la recherche et qu'à tous les niveaux, on reconnaisse leur utilité. Un professeur émérite mérite bien toute considération. Il ne doit pas être considéré comme simple retraité avec un titre honorifique mais comme un professeur de haut rang avec une mission à accomplir. *(Université de Tunis El Manar)