Béji Caïd Essebsi : «Ceux qui parlent de victimisation ou d'une manœuvre font contre moi un procès d'intention». Imed Daïmi : «Personne n'a demandé à Ennahdha de ne pas présenter des candidats à la présidentielle». Amine Mahfoudh : «C'est une mesure populiste adoptée par Ben Ali» Après avoir occupé La Kasbah, Béji Caïd Essebsi se voit à Carthage. C'est dimanche soir que l'ex-Premier ministre a annoncé sa décision de se porter candidat à la future élection présidentielle. Une annonce qui a jeté un pavé dans la mare. Depuis, la sphère politico-médiatique ne parle que de ça. La blogosphère, agitée de nature, s'est clivée entre les pros et les antis. Les partis et hommes politiques, difficilement joignables, invités à commenter l'événement, se sont drapés derrière l'obligation de réserve, pour la plupart. Autrement dit, les positions n'étant pas tout à fait fixées, on a préféré garder un silence prudent, de peur de faire une bévue. Parce que là, on ne joue plus ! Du haut de ses quatre vingt-six ans, Béji Caïd Essebsi ne semble donc pas le moins du monde déstabilisé par ce double croche-pied activé sur son passage : la limite d'âge de 75 ans que la future loi fondamentale suppose édicter, ainsi que la loi sur l'immunisation de la révolution qui, dit-on, le cible personnellement, et risque de fait de l'écarter de la course, une fois adoptée par le rouleau compresseur des voix de la majorité. Laquelle loi, adoptée ou pas, est mal vue par nombre d'experts, dont Amine Mahfoudh constitutionnaliste, professeur à la faculté des Sciences juridiques de Sousse. Il rappelle à La Presse que cette condition d'éligibilité est une réaction contre la présidence à vie instaurée par feu Bourguiba. C'est, selon lui, une mesure populiste adoptée par Ben Ali en 1988 juste pour démontrer aux Tunisiens que tout va changer. Le professeur Mahfoudh étaye son analyse par un deuxième argument selon lequel cette clause n'existe pas dans les constitutions comparées : «Cette mesure n'existe pas dans les démocraties constituées, elle infantilise le peuple et laisse entendre qu'il est mineur et qu'on doit choisir pour lui. Une disposition qui a, de plus, une portée très négative à l'extérieur». «C'est une insulte à la volonté du peuple, tranche-t-il. Et je suis contre, a-t-il renchéri sans équivoque, parce qu'elle exclut des personnes capables de diriger le pays. Et, en même temps, donne un alibi à d'autres qui veulent exercer le pouvoir dans l'ombre. Des personnes qui ne se présentent pas aux élections, comme cela se passe en Iran avec le guide suprême, et qui en réalité maîtrisent tout. Ce n'est pas démocratique. Il faut laisser le libre choix à tout le monde de se présenter aux élections. Le peuple sera l'arbitre. De plus, il ne faut pas donner l'occasion à ceux qui ont été exclus de s'ériger en victimes». Bon an mal an, le chef du parti Nida Tounès, communément appelé Si El Béji, s'est présenté, en doublant peut-être de potentiels postulants à «Carthage», des coéquipiers qui siègent dans la même coalition que lui, l'Union pour la Tunisie. S'était-il concerté avec eux ? La réponse à cette question reste vague dans sa déclaration ci-dessous. M. Essebsi annonce toutefois à La Presse que M. Néjib Chebbi pourrait faire une déclaration, aujourd'hui même, à ce sujet. Ainsi, la vraie raison reste mystérieuse. Bien qu'il ait répondu à nos questions, avec verve, humour et force arguments, en homme politique qui se respecte, M. Essebsi n'a pas tout dit sur les motivations réelles de sa candidature prématurée. Pourquoi donc annoncer une candidature pour une élection dont la date n'est pas encore fixée, avec une Constitution qui n'est pas encore ficelée, et qui menace d'interdire toute candidature au-delà de 75 ans ? Quoi qu'il en soit, à la question de savoir s'il était optimiste, Si El Béji nous répond : «Je suis réaliste»... Béji Caïd Essebsi : «Je le fais sans tenir compte des obstacles qui peuvent être dressés par les uns et par les autres, et que chacun prenne ses responsabilités» Ma principale motivation est mon devoir, je pense que la situation de la Tunisie actuellement dicte à tout Tunisien qui aime son pays de placer l'intérêt de la Tunisie au-dessus des intérêts partisans et personnels. J'ai estimé que c'est mon devoir de le faire quels que soient les inconvénients et réactions négatives qui peuvent en découler, c'est secondaire. En réalité, cette clause de limite d'âge n'existe dans aucune Constitution d'un pays démocratique. Cette restriction n'est appliquée que dans sept ou huit pays africains. Par conséquent, ce n'est pas une référence, si on veut instaurer une démocratie. En Tunisie, c'était une création de Ben Ali pour écarter beaucoup de ses concurrents éventuels. Moi je pense que c'est totalement aberrant aujourd'hui d'introduire une telle disposition dans une Constitution aspirant à répondre aux revendications de la révolution. De toute façon, ce n'est pas cela qui m'empêchera de présenter ma candidature, je le fais sans tenir compte des obstacles qui peuvent être dressés par les uns et par les autres, et que chacun prenne ses responsabilités. Ceux qui parlent de victimisation ou d'une manœuvre font contre moi un procès d'intention et je suis de ceux qui appellent à élever le débat. On me connaît suffisamment pour savoir que ce ne sont pas des motivations que je peux invoquer. Pour les potentiels candidats, il n'y pas de problèmes, en tout cas si Chebbi va parler demain, écoutez-le. Nous nous entendrons entre nous quant à la marche à suivre, et les candidatures à présenter. Mais il faudra attendre qu'il y ait des élections, il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. Oui, je me suis présenté sans connaître le régime politique, ni les prérogatives du président parce que chaque chose en son temps, et nous attendrons que la Constitution soit adoptée, ce n'est pas encore le cas. Imed Daïmi : «Le président Moncef Marzouki ne se lancera pas avant de connaître la nature du régime, et les chances d'avoir derrière lui un parti fort et une majorité présidentielle» C'est un non-événement. Dans l'absolu tout citoyen a le droit de se présenter aux élections, il faut remplir les conditions fixées par la Constitution et par la loi. Pour l'heure, personne ne connaît la nature du régime politique qui sera adopté, ni les prérogatives de la présidence. C'est très étonnant de voir quelqu'un se présenter avant de connaître toutes les conditions et prérogatives liées à ce poste. C'est donc une opération de communication et une manœuvre politicienne pour influencer les constituants qui vont débattre des articles de la Constitution relatifs aux prérogatives de la présidence, et pour endosser le rôle de victime, son parti ne fait que ça depuis quelques mois. C'est par la victimisation qu'il essaye d'obtenir des concessions des partenaires politiques. Quant au CPR, le débat actuel en cours à l'Assemblée entre les partis politiques dans le cadre du débat national est en voie pour l'instauration d'un certain équilibre entre les deux têtes de l'exécutif. L'objectif étant de trouver des compromis pour arriver à une version acceptée par tous qui sera ratifiée par les différents groupes parlementaires, y compris par celui d'Ennahdha connu pour sa discipline. Et c'est dans l'intérêt du pays. Par ailleurs, personne n'a demandé à Ennahdha de ne pas présenter de candidats à la présidentielle s'il veut le faire. Le président Moncef Marzouki n'a pas présenté sa candidature, et n'a jamais parlé de se porter candidat aux futures élections. Il ne se lancera pas avant de connaître la nature du régime, le partage des prérogatives, et les chances d'avoir derrière lui un parti fort et une majorité présidentielle qui lui permettront de se porter candidat. Ce n'est pas encore d'actualité.