Dans tout travail intellectuel ou artistique, la (fausse) modestie et la demi-teinte tuent l'œuvre. Autant avoir le courage de ses idées et aller jusqu'au bout que tergiverser entre le réel poignant et le comique. Aujourd'hui – très exactement aujourd'hui –, le paysage social et surtout politique ne souffre ni blague, ni caricature, ni rire. Le cœur n'y est pas en cette période cruciale où les Tunisiens s'apprêtent à être fixés sur leur sort dont ils ne visualisent même pas l'issue. Beaucoup plus que le politique qui ‘‘façonne'' le devenir de sa société, l'intellectuel (donc l'artiste) est appelé à témoigner et à dénoncer – il est l'Historien du moment. Mais s'il choisit le burlesque pour le dire, c'est que les choses ne sont pas aussi graves qu'on le pense. Or, c'est même dramatique le moment présent que nous traversons avec beaucoup d'appréhension, de crainte, de stress. En choisissant la comédie drolatique pour s'attaquer de front à la question intégriste et/ou salafiste, Brahim Ltaïef est passé à côté de son film dont il aurait pu faire une grande œuvre à inscrire dans l'Histoire du cinéma tunisien. Dommage ! Le réalisateur, avant la projection, mercredi dernier au Zéphyr de La Marsa, de cette comédie (dont on a flairé comme le pendant de Cinécitta, le précédent), a cru nécessaire ou honnête de confier qu'elle est le fruit d'un travail collectif, toute l'équipe – ou presque – y ayant apporté, chacun, son grain de sel. Cette modestie est inadmissible. Ou on est le maître d'œuvre ou on ne l'est pas. Toute barque est condamnée à couler si elle est appareillée par plusieurs bras. En tout cas, trop d'humour, souvent creux et arraché par les cheveux, a ridiculisé l'œuvre censée, plutôt elle, ridiculiser ces faux dévots qui, sous le couvert de la religion, tentent de nous imposer leurs principes (s'ils en ont) pour baigner dans la corruption et la débauche. Regardez comme est beau et direct ce titre : Affreux, cupides et stupides. On imagine mal d'autres qualificatifs plus osés et audacieux pour traiter ces faux bigots. Mais quand vous traitez quelqu'un de menteur et éclatez tout de suite de rire, c'est qu'il est à la limite très mignon. Dans ce film, les faux fanatiques (mouillés jusqu'au cou dans la déchéance et le stupre) sont tellement présentés à l'image de marionnettes risibles qu'ils nous sont devenus – presque – sympathiques. Ah bon ?... Nos fanatiques sont sympas?... Que non, voyons !... Ils sont justement affreux et stupides. Pis : ce sont des durs qui ne craignent rien et qui usent de violence pour parvenir à leurs fins méphistophéliques. Aujourd'hui – très précisément aujourd'hui –, nous sommes en guerre contre le fanatisme, l'intégrisme et le salafisme. C'est un fait. Mais un combat mené avec force rires et caricatures mal faites tourne la cause en ridicule. C'est le ton du film qui a bousillé le film. Et c'est comme qui, pour gagner une cause, la tourne lui-même en dérision. Evidemment, ce n'est qu'un film (ou une comédie) qui se veut désopilant, une petite série de tableaux amusants. Si nous avons ri ?... Oui, nous avons ri. Mais pas des faux dévots, de nous-mêmes, hélas ! Car ces faux sont doublement faux : dans leur esprit (c'est un fait) mais aussi dans la manière dont ils nous ont été présentés. Une pléthore inutile de comédiens fous (lâchés à eux-mêmes et mal dirigés) qui nous ont présenté ces prétendus fous d'Allah dans la peau d'individus presque charmants par excès de caricature. Ils ne sont ni affreux ni stupides. Ils sont futés et sympas. Si maintenant tous les intellectuels (donc artistes !) vont s'amuser à prendre notre guerre contre le salafisme et l'obscurantisme pour un spectacle clownesque, on finira par adorer nos salafistes qui, eux, sont beaucoup plus sérieux et engagés dans leur combat contre la démocratie. Ce jour-là, adieu la Tunisie !