Le village touristique de La Goulette est à l'image du secteur touristique en général, et du tourisme de croisière, plus particulièrement: aux moyens et à la volonté confirmée de promouvoir et le tourisme et l'artisanat de marque s'oppose une déception répétitive. A peine entrée en fonction en juin 2010, ce village conçu pour impressionner les visiteurs étrangers et leur donner, dès les premières minutes de leur arrivée, un avant-goût spécifique de toute une culture et d'un patrimoine digne d'être découvert et admiré s'est ipso facto heurté aux répercussions des évènements du 14 janvier: saccagé pour avoir appartenu à Sakhr El Matri, sa reprise n'a pas été pour autant facile surtout dans un climat d'insécurité et d'instabilité. Son mal de reprise revient, également, au revirement de la situation touristique et à l'inadéquation du projet et des produits qu'il propose avec les besoins des croisièristes. Il faut dire que le village touristique de La Goulette a été élaboré dans le cadre d'un projet ambitieux portant sur la mise à niveau intégrale du Port. En 2005, l'Office de la marine marchande et des ports ( Ommp) avait en effet veillé sur la rénovation et l'amélioration de l'infrastructure portuaire, métamorphosant ainsi un port vieux et désuet en l'un des meilleurs dans la région. Aussi, le port de La Goulette, qualifié en tant que port de transition, s'avère-t-il être l'un des principaux dans la région méditerranéenne puisqu'il a été classé 7e en 2011. L'une des composantes de ce projet consiste en la création d'un espace commercial et de loisirs typiquement tunisien. «L'idée étant de substituer au terminal traditionnel, qui compte à peine quelques boutiques et des wc, une médina au vrai sens du terme, d'une superficie de 6.200 m2, offrant aux visiteurs une panoplie de prestations basiques et de loisirs», explique Mme Maha Ben Slimane, responsable de la communication et du marketing à la société de gestion du port et du village touristique de La Goulette: Goulette Shipping Cruise ( GSC). En effet, aussitôt débarqué, le visiteur bénéficie d'un service d'accueil et de communication lui facilitant son séjour. Il peut également trouver un taxi en un temps record grâce au service-taxi. Par ailleurs, une multitude d' espaces divers est à sa disposition dont un espace commercial hors taxes (Duty free), un restaurant, un fast food, un café traditionnel, une boutique spécialisée dans la vente des épices et des produits du terroir, outre les boutiques spécial artisanat. Les visiteurs de la médina peuvent également bénéficier de prestations de bien-être et de relaxation, comme le hammam et les massages, découvrir la musique folklorique et le malouf et pourquoi pas faire une promenade à dos de chameau. Tout a été donc agencé de manière à permettre aux croisièristes des préliminaires agréables à la visite de notre pays. Cependant, les choses ne se sont pas déroulées comme prévu et les causes directes et indirectes de la déception sont multiples. Une stratégie fondée sur des préjugés Le point focal de la mise en place d'une unité de tourisme de croisière au port de La Goulette consiste en l'éventuel accueil d'un nombre croissant de croisièristes assez fortunés pour s'adonner aux diverses prestations et pour faire l'acquisition de pièces uniques d'un artisanat de haut de gamme. C'est pourquoi il était opportun pour l'ex-direction du village touristique de placer la barre haut et de proposer des locaux commerciaux à des prix exorbitants. En 2010, 60% seulement des locaux ont été commercialisés au profit d'une poignée de créateurs d'artisanat de haut de gamme, à l'instar de Mme Lilia Bou Zghonda, Mme Mina Ben Miled, Mme Kaouther Maâmouri et la créatrice de la gamme de bijoux de fantaisie «Ghalia». Or, les navires de croisière, qui accostent à La Goulette relèvent pour la plupart du tourisme de masse. «Près de 70% des croisièristes dans le monde optent pour les Caraïbes. Seuls les 30% restants ont une préférence pour d'autres destinations. Les visiteurs européens par exemple optent plus pour des croisières qui sillonnent la Méditerranée. La Tunisie demeure ainsi une station de transit pour des croisièristes aux budgets limités», fait remarquer Mme Ben Slimane. Pis encore: bénéficiant d'un «tout compris» sur le navire, les visiteurs n'éprouvent pas le besoin de s'adonner à certaines prestations dont la restauration, etc. Une fois sur terre, ils ne sont mus que par la pressante envie de visiter le pays. En revanche, c'est l'équipage — qui compte généralement pour un tiers du nombre des voyageurs — qui requiert ces services car interdit de certains privilèges sur le navire. «Or, l'équipage ne dispose pas des moyens matériels suffisants pour acheter des produits haut de gamme», ajoute la responsable de la communication. Faute d'une stratégie élaborée sur des bases solides, notamment sur une étude à même de cibler les besoins et les moyens financiers d'un tourisme de croisière de masse, les espérances en une croissance phénoménale du rendement du village touristique de La Goulette sont tombées à l'eau dès les premiers mois de sa mise en œuvre. Suite à quoi, la majorité des créateurs artisans ont fini par jeter l'éponge fin 2010. Par ailleurs, et en raison de l'insécurité post-révolutionnaire, l'affluence des visiteurs de passage a nettement diminué pour se situer à 300 mille passagers à peine en 2011. Des pas qui n'avancent pas Pour relancer l'activité du village touristique de La Goulette, une remise en question de la stratégie et des besoins des marchés intéressés s'imposait. Tentant de reprendre du bon pied une tarification allégée du port, notamment les tarifs d'accostage et la redevance sur passager, a été adoptée dans l'optique de séduire plus de marchés. Quant aux locaux spécifiques, notamment le hammam, le restaurant, le fast food et le café typique, la tarification a été repensée afin d'être mieux adaptée au budget des intéressés. Ainsi, au lieu de les louer au mètre carré, des tarifs forfaitaires pour une année ont été fixés et lancés en appel d'offres décembre 2012. «Malgré ces mesures dont certaines sont inspirées des grandes destinations de croisière dans la Méditerranée, les déceptions vont crescendo. A défaut d'un climat sécurisant, les Tunisiens ne cherchent plus à investir dans des projets audacieux. D'autant plus que les procédures strictes, imposées par la douane sur les commerçants rendent la vie dure à ces derniers qui sont dans l'obligation de déclarer régulièrement leurs stocks et leurs revenus», ajoute Mme Ben Slimane. Cette année, deux appels d'offres ont été lancés afin d'inciter les commerçants et les artisans à s'installer au Village pour remédier à un rendement et à un taux de remplissage en courbe décroissante. Manifestement, ce village touristique vu par les artisans et les commerçants spécialisés dans la vente des produits de l'artisanat implantés dans la médina ainsi que dans la banlieue nord, comme étant le gros poisson qui ne laisse pas de miettes, est en mal de résistance. Les mesures qui se succèdent dans l'optique de promouvoir son activité et le placer au niveau escompté s'avèrent minimes quant au principal obstacle: l'insécurité et la mauvaise pub véhiculée à l'échelle internationale sur la destination tunisienne. Faire face à une telle situation implique la conjugaison des efforts de plusieurs parties concernées. La GSC s'engage, désormais, dans un partenariat avec l'Ommp, l'Ontt ainsi que l'Agence nationale de promotion du patrimoine; un partenariat qui vise l'élaboration d'une stratégie à même d'apporter au Village le maillon manquant à sa promotion. Aussi, est-il question de miser davantage sur les avant-goûts typiques de notre pays. «Nous réfléchissons ainsi que l'Agence de promotion du patrimoine sur l'instauration d'un musée donnant un aperçu sur notre civilisation. D'autant plus que nous axons le volet animation sur les diverses facettes de notre patrimoine musical, notamment le folklore, le malouf, les danseurs aux jarres, etc », note la responsable de communication. D'un autre côté, les manches se retroussent afin de promouvoir le Port de la Goulette et la Tunisie, d'une manière générale, à l'échelle mondiale via des foires et des salons internationaux, comme le salon international de Miami et le salon méditerranéen de Marseille. Quant aux initiatives propres à la GSC, des contacts avec les ports internationaux ont été établis afin de prendre de plus amples connaissances sur les astuces qui marchent à coup sûr. «Conscients de l'importance des impressions que donne le port sur les visiteurs, nous avons élaboré une étude fondée sur les avis des visiteurs, leurs remarques et leurs critiques, lesquels avis sont susceptibles de nous aider à mieux ajuster nos prestations aux besoins des touristes», ajoute Mme Ben Slimane.