On a certainement besoin d'un code d'investissement digne d'un pays qui se veut une plateforme de production et d'exportation. Mais il y a lieu de mettre en place des mesures d'urgence pour résoudre les problèmes de la logistique et d'apaiser les conflits sociaux L'ancien code visait la maîtrise du coût du capital par rapport à celui du travail. De facto, les investisseurs seraient tentés d'adopter des modes de production qui substituent les emplois par les machines Le projet du nouveau code d'investissement fait l'objet de plusieurs consultations avant l'élaboration de la version finale. Hier, au siège de l'Utica, l'Association tunisienne du droit des affaires a organisé un séminaire pour débattre du bilan et des perspectives de réforme du code actuel. Mais, à bien des égards, la question qui se pose à chaque fois qu'on aborde ce sujet est : quel serait l'apport d'un nouveau code sur le rythme de création et d'extension d'entreprise ainsi que leurs corollaires, l'emploi et le développement régional ? Le chef du cabinet du ministre du Développement et de la coopération internationale, M. Karim Jammoussi, a ajouté une liste d'interrogations relatives à l'investissement, notamment la compétitivité des entreprises, les investisseurs qui avaient déserté les zones de développement régional, l'incitation à l'emploi, la lenteur administrative... Le nouveau code, illustre-t-il, est une vitrine pour la Tunisie. Et d'expliquer : «Il porte des réponses aux questions posées par les investisseurs». Mais est-ce suffisant pour se tailler une place de choix dans l'échiquier des destinations d'investissement ? A l'heure actuelle, la réponse semble négative. En effet, Mme Wided Bouchamaoui, présidente de la centrale patronale, a martelé : «Le code peut attendre. On peut prendre tout notre temps pour élaborer le meilleur des codes d'investissement». Selon la patronne des patrons, il faut rétablir la confiance dans les entreprises tunisiennes et les chefs d'entreprises. Pour ce faire, elle met en évidence la nécessité d'un calendrier politique clair et précis. De même, soucieuse de la continuité de l'activité des entreprises, elle insiste sur le rétablissement de la sécurité et la garantie de la liberté de travail. Dans la même lignée, elle pointe du doigt le marché parallèle, principalement la contrebande. Sur un autre plan, elle déplore le rythme de l'administration tunisienne dépourvu de «compétence et d'autonomie». Cette lourdeur administrative dissuade tout investisseur, «notamment l'investisseur étranger qui plie bagage dans 24 heures pour s'implanter et produire ailleurs dans la semaine». S'agissant du bilan d'une vingtaine d'années d'existence, la générosité de l'ancien code d'incitation aux investissements a bien évidemment généré une évolution positive. Mais le volume des investissements demeure en deçà des potentialités d'un pays aussi bien positionné géographiquement, au cœur de la Méditerranée et bordé de grands et riches pays, l'un pétrolier et l'autre gazier. Le conférencier a qualifié de très faible la part, de 42%, des investissements privés par rapport aux investissements publics. Sur le plan de la réalisation des objectifs qualitatifs, le bilan des politiques d'investissement est plutôt sombre : un déséquilibre régional criant et des filières industrielles peu développées, constituées, principalement, par des entreprises de travail à façon, à faible valeur ajoutée, qui cherchent une main-d'œuvre peu qualifiée, à un salaire compétitif. Sur le plan macro, le gap d'investissement privé a coûté jusqu'à deux points de croissance et près de 35 mille emplois, annuellement, dans un contexte de généreuses incitations. Ainsi, il est évident de remettre en cause toute la batterie d'avantages qu'offre l'ancien code des incitations aux investissements. Le conférencier estime que l'ancien code visait la maîtrise du coût de capital par rapport à celui de travail. De facto, les investisseurs seraient tentés d'adopter des modes de production qui substituent les emplois par les machines. Pis, «les avantages fiscaux et financiers accordés permettent de créer 40 mille emplois annuellement», déplore-t-il. Pour sa part, M. Sami Zaoui, expert-comptable, a exposé une analyse comparative des incitations aux investissements dans plusieurs pays comparables et concurrents de la Tunisie. Ce n'est qu'en 2012, avance-t-il, que la Turquie a adopté une loi stipulant des incitations aux investissements en fonction des six régimes définis, dont le régime de développement régional, de l'investissement à portée stratégique, des investissements à grande échelle... L'expérience bulgare se distingue par l'autonomie régionale dans la gestion des investissements. S'agissant de notre concurrent régional, le Maroc, la gestion des investissements est assurée par une simple charte des investissements dans un document léger de quelques pages. La réforme, recommande-t-il, à la lumière de ces expériences doit prendre en considération d'autres aspects, notamment la garantie des investisseurs, les règles d'accès aux marchés, le règlement des litiges... Sans chercher à dénigrer aucun travail, les incitations aux investissements sont loin d'être le critère déterminant dans le choix d'un site pour les affaires. Plusieurs études montrent que la générosité des incitations se place au-delà de la cinquième position dans le classement des critères déterminants aux yeux des entrepreneurs. On aura certainement besoin d'un code digne d'un pays qui se veut une plateforme de production et d'exportation. Mais, dans le contexte actuel, le code, à lui seul, ne pourrait pas assurer une relance forte et soutenable. Avant tout, il y a lieu de mettre en place des mesures d'urgence pour résoudre les problèmes de la logistique et d'apaiser les conflits sociaux.