Le chef du gouvernement provisoire poursuit ses promesses et son attachement à un dialogue qui ne séduit plus personne, sauf les légitimistes L'impression générale qui se dégage de la conférence de presse donnée hier par Ali Laârayedh à l'issue de sa rencontre avec plusieurs responsables politiques et de personnalités nationales est qu'il a raté le coche encore une fois. Et les questions de fuser : le chef du gouvernement provisoire a-t-il tout dit sur la situation sécuritaire qui se détériore de jour en jour ? Ses appels répétés à la poursuite d'un dialogue s'éternisant de plus en plus et qui a viré en un monologue qui ne séduit plus personne ne constituent-ils pas une tentative pour gagner du temps au détriment des exigences de l'étape ? Son discours et ses propositions sont-ils en mesure de faire revenir les constituants sit-inneurs sur leur décision et à regagner l'ANC pour terminer le travail ? Son insistance pour que s'établisse une union sacrée autour du gouvernement dans son combat contre le terrorisme trouvera-t-elle l'écho qu'il faut auprès des Tunisiens ou d'une large partie d'entre eux qui estiment que le terrorisme s'est installé dans le pays à cause précisément du laxisme et de la désinvolture du gouvernement de la Troïka ? On prépare le nid à la guerre civile Abdessattar Ben Moussa, président de la Ligue tunisienne de défense des droits de l'Homme (Ltdh), commente le discours de Laârayedh en soulignant : «Personne ne peut être contre le dialogue mais à condition qu'il soit sérieux et qu'il aboutisse à des résultats concrets. Quant à l'union sacrée contre le terrorisme, nous applaudissons des deux mains». «Il reste que la Ligue a déjà exprimé ses revendications. Nous soutenons le dialogue mais à condition que le gouvernement actuel annonce, avant toute négociation, sa démission. Toutefois, il peut continuer à gérer les affaires courantes jusqu'à la formation du prochain gouvernement, qu'il soit de salut national ou d'union nationale. Quant aux appels pour dresser la rue contre la rue, j'y vois les symptômes d'une guerre civile qui menace tout le monde et il est inacceptable que des ministres mettent leurs casquettes partisanes pour appeler les Tunisiens à s'entretuer. Cela ne m'empêche pas de faire remarquer que les slogans lancés, y compris par les sit-inneurs d'Arrahil, sont indignes de la Tunisie du 14 janvier», ajoute-t-il. Le président de la Ltdh poursuit son appréciation du discours de Laârayedh et souligne : «Ses propos n'ont apporté rien de nouveau puisqu'aucune décision concrète n'a été annoncée. D'autre part, il est aberrant de voir le chef du gouvernement déclarer qu'il n'est pas au courant de la tentative de miner le centre commercial Champion à Lafayette, alors que le ministère de l'Intérieur a diffusé un communiqué officiel relatant l'affaire». La soumission en contrepartie de la sécurité «Comme à son habitude, Ali Laârayedh a refusé de révéler les vérités que tout le monde attendait. Il continue toujours à cacher les informations sur la situation sécuritaire du pays. S'il s'obstine à la rétention de ces informations, comment veut-il que le peuple soit rassuré», tempête Sami Tahri, membre du bureau exécutif de l'Ugtt, chargé de l'information. «J'ai le sentiment, ajoute-t-il, que Laârayedh nous propose un deal : soumettez-vous et arrêtez de contester. En contrepartie, nous vous offrons la sécurité». L'Ugtt pourra-t-elle retourner à la table du dialogue qui lui est toujours ouverte, comme l'a martelé à plusieurs reprises le chef du gouvernement provisoire ? Le responsable syndical n'y va pas par quatre chemins pour dire : «L'Ugtt n'est pas prête à reprendre le dialogue qu'elle considère comme un faux dialogue et en prime se déroulant dans un contexte de violence et de haine. Pas plus tard que vendredi 2 août, le siège de notre union régionale à Tozeur a été attaqué par les nahdhaouis, et à l'Ugtt nous avons saisi leur message. Ils veulent nous faire comprendre qu'ils sont toujours là et qu'ils peuvent nous intimider à n'importe quel moment». Une logique perverse Pour le Pr Abdeljelil Bedoui, vice-président d'Al Massar, «le chef du gouvernement suit une logique perverse qui consiste à solliciter le soutien de ceux qui demandent sa démission sous le prétexte d'assurer l'union sacrée contre le terrorisme. En parallèle, l'on assiste de la part du parti qu'il représente à des tentatives déplorables de monter la rue contre la rue en poussant à l'affrontement entre les sit-inneurs du Bardo et ceux qui soutiennent la légitimité». Il pense également que Laârayedh est en train de «jouer un faux rôle. Il se positionne en rassembleur en cette période de crise alors qu'il n'est pas crédible et encore plus il est considéré comme responsable de la situation chaotique que vit le pays d'abord en tant que ministre de l'Intértieur puis en tant que chef du gouvernement». «Je ne pense pas que son discours trouvera un écho auprès des constituants sit-inneurs. C'est un discours qui n'inspire pas confiance. Il cherche visiblement à gagner du temps alors que le contexte nécessite beaucoup de sérieux et une volonté politique sincère pour sortir de la crise avec le minimum de dégâts», conclut-il. Oui au dialogue si... Au parti Al Joumhouri, qui a refusé de répondre à l'invitation du chef du gouvernement, on campe sur les mêmes positions. «Nous ne sommes pas contre le dialogue et l'on se rappelle que nous en avons déjà payé le prix à une époque très récente. Seulement, cette fois-ci nous ne sommes pas prêts à donner au parti au pouvoir la bouffée d'oxygène qu'il cherche au moment où il est pratiquement tombé. Nos conditions sont claires et précises. Il faut que Laârayedh annonce la démission de son gouvernement. Cette revendication est devenue celle du peuple. Même au sein du gouvernement, il y a des ministres qui soutiennent cette option», s'insurge Issam Chebbi, porte-parole d'Al Joumhouri. Pour revenir au discours de Laârayedh, il s'étonne de «l'analyse qu'il fait des indicateurs économiques réalisés avant l'assassinat du martyr Mohamed Brahmi, alors que tout le monde est convaincu qu'on est au bord du gouffre». Pour ce qui est de la situation sécuritaire, Issam Chebbi relève: «Il est inadmissible que les explosions deviennent notre pain quotidien et que Laârayedh continue à nous endormir avec ses affirmations selon lesquelles la situation est sous contrôle».