Par Soufiane BEN FARHAT Par moments, les analystes n'en finissent pas de se fourvoyer dans les méandres d'une actualité incandescente. Au point que l'arbre en vienne à cacher la forêt. Et l'arbre en question est bien souvent un raccourci. Lequel, comme son nom le suggère, est réducteur. Mais si écourter est bon pour les distances, ça ne l'est certainement pas pour l'esprit. Ni pour les analyses géostratégiques. Gian Paolo Accardo écrivait il y a peu : "Le soutien à la ‘‘flottille de la paix'' arraisonnée par les armes par l'armée israélienne, le 31 mai, et le récent accord sur le nucléaire conclu avec l'Iran et le Brésil ont une fois de plus rappelé à l'Europe que la politique étrangère de la Turquie ne se limite pas à attendre patiemment que Bruxelles veuille bien lui ouvrir la porte. Depuis des années, Ankara développe, en même temps qu'elle se conforme aux critères d'adhésion à l'UE, une diplomatie dynamique au Moyen-Orient. Qualifiée de ‘‘néo-ottomane'', elle vise à rétablir l'influence de la Turquie dans son ancien empire. Pour cela, Ankara n'hésite pas à remettre en cause sa relation avec ce qui fut pendant longtemps son meilleur allié dans la région, Israël. Ce dernier voit ainsi son isolement grandir et multiplie les initiatives unilatérales plus ou moins catastrophiques". A l'en croire, l'Europe devra saisir l'opportunité de cet imbroglio politico-diplomatique. Il lui incombe de "faire preuve d'audace" et de lancer une initiative qui "bouleverserait la donne chez elle, au Moyen-Orient et au-delà". Il s'agira de "proposer l'adhésion pleine et entière à l'Union à la Turquie et à Israël, ensemble, d'ici les cinq prochaines années. L'intendance suivra". Dans les sphères de la spéculation, les problèmes sont souvent faciles à résoudre. Il n'en est pas ainsi à l'épreuve des faits, des données concrètes. Parce que la solution prônée par l'éminent analyste est viciée à la base. Elle n'intègre guère un protagoniste essentiel du conflit : les Palestiniens, et plus généralement les Arabes. A moins de n'envisager que l'UE ne s'élargisse aux pays du Proche et du Moyen-Orient. Ce qui, en l'état actuel et à venir des choses, relève de l'impossible. Ce qui intéresse parfois dans un discours, une pratique ou une idéologie, c'est davantage ce qu'il rejette ou omet que ce qu'il énonce et intègre. Considérée sous cet angle, l'approche de Gian Paolo Accardo traduit on ne peut mieux certains codes analytiques et discursifs européens vis-à-vis du conflit israélo-palestinien. Bien qu'ils y soient directement impliqués, les Palestiniens n'y ont pas voix au chapitre. Tout au plus, les Arabes et eux sont-ils logés à l'enseigne de l'intendance, des protagonistes par omission. Et l'intendance suit toujours, dans la meilleure des perspectives. Certes, la Turquie est une donne essentielle du conflit israélo-palestinien et israélo-arabe. Il en est de même de l'Iran. Progressivement, après avoir été longtemps dans l'axe anti-arabe, prenant fait et cause pour Israël, l'Iran et la Turquie ont fini par rentrer chez eux en quelque sorte. Ils ont retrouvé le cercle de leurs solidarités et affinités séculaires. Le premier à la faveur de la révolution islamique de 1979, la seconde eu égard aux arrogances et intransigeances israéliennes tous azimuts. Mais il ne faut pas pour autant que la diplomatie occidentale, plus précisément européenne, mélange les protagonistes ni les genres. Si l'intégration de la Turquie à l'UE est à l'ordre du jour, il n'y a guère de lien de cause à effet avec le conflit israélo-palestinien. Et si paix il y aura aux Proche et Moyen-Orient, à plus ou moins moyen terme, cela n'affectera en rien le statut européen de la Turquie. Toujours est-il que la persistance du conflit israélo-palestinien a un coût faramineux. Elle génère des manques à gagner inestimables aux niveaux euro-méditerranéen, euro-arabe, euro-asiatique, Est-Ouest, Nord-Sud… En ces temps de crise, l'Europe se rend bien compte de l'inestimable gisement d'opportunités économiques et sociales que consentent les espaces Euromed et Euroarabe notamment. Et elle mesure les vraies dimensions du blocage historique qui affecte également son propre développement en définitive.