Par Nejib Ouerghi Un mois après l'assassinat du député Mohamed Brahmi, la Tunisie peine à sortir de l'immobilisme, qui ne finit pas de l'enfoncer dans une spirale infernale de surenchères politiques, de crise de confiance, de difficultés économiques et de tensions sociales. Au moment où le pays connaît une situation d'une extrême gravité, avec la recrudescence des périls, les partis politiques, au pouvoir et dans l'opposition, continuent à entretenir le flou et à rendre encore plus complexe toute solution qui redonnerait confiance aux Tunisiens ou leur offrirait de nouvelles perspectives. L'inexorable descente du pays dans le vide politique, la violence et l'incertitude trouvent leur explication dans la prééminence des considérations partisanes sur les intérêts de la Tunisie et sur les véritables aspirations des Tunisiens. En témoignent amplement le blocage du processus de transition qui, deux ans après les élections du 23 octobre 2011, a mené le pays sur une voie sans issue, l'exacerbation des dissensions et des divisions et l'émergence de dangers qui peuvent hypothéquer durablement les fondements de la société tunisienne. A cet effet, il est tout à fait normal que l'annonce de l'acceptation par Ennahdha de l'initiative de l'Ugtt, prévoyant la mise en place d'un gouvernement de compétences, suscite plus de circonspection que d'optimisme. Rapidement, le doute et la suspicion ont fini par prendre le dessus, tellement l'effet d'annonce, tant attendu, fut évasif et imprécis et les préalables posés ont été perçus comme une nouvelle manœuvre pour gagner du temps. Les évolutions de la situation politique nationale ont donné l'impression que les quatre longues semaines de vide politique, qui ont sérieusement affecté les équilibres macroéconomiques du pays, accentué les périls et mis à mal sa sécurité et son unité, n'ont servi à rien. Il semble que les acteurs politiques n'ont pas retenu les leçons des crises à répétition en poursuivant une fuite en avant. Ces derniers continuent, en effet, à se livrer à des surenchères stériles et à une véritable guerre de tranchées, qui font perdre au pays un temps précieux en posant de faux préalables et en engageant un dialogue de sourds à propos de questions qui auraient pu être facilement résolues, une fois réunies la bonne volonté et la confiance. Alors que le pays s'enfonce dans l'inconnu, on fait durer le suspense à coups de tractations interminables et de manœuvres dilatoires qui n'ont fait qu'accentuer la tension, entamer le moral des Tunisiens en les détournant de leurs attentes les plus légitimes. La question qui se pose actuellement avec insistance consiste à trouver de bons arbitrages qui permettent de restaurer une confiance perdue entre les acteurs politiques, de mettre un terme au cafouillage qui règne et de poursuivre la construction de la nouvelle démocratie sur des bases à la fois solides et saines. Des arbitrages qui exigent de satisfaire un certain nombre des conditions. Il s'agit de mettre un terme à toute forme de laxisme et de manœuvres et de faire montre d'un engagement sincère pour sauver la Tunisie, son expérience démocratique et son modèle de société. Il s'agit, ensuite, de mobiliser tous les acteurs politiques autour d'objectifs communs et fédérateurs afin de servir le pays et ses intérêts. Il s'agit aussi de les pousser à créer un espoir, construire une confiance, rompre avec un style de gouvernance qui a montré ses limites, parce que basé sur une logique partisane. Il s'agit, enfin, d'agir vite pour éviter l'irréparable et d'avoir le courage d'épargner au pays les affres de nouvelles crises dont les conséquences peuvent être désastreuses. La Tunisie ne peut plus attendre, les Tunisiens aussi. Le pays a besoin d'un signal fort pour rebondir et redonner confiance aux politiques, aux opérateurs économiques et au simple citoyen. Aujourd'hui, la sonnette d'alarme est tirée. Pour ne pas toucher le fond, le pays a besoin d'un sursaut d'orgueil et d'une prise de conscience de toutes ses forces politiques qui doivent, ne serait-ce que provisoirement, mettre de côté le combat partisan et les considérations électoralistes qui ont miné la vie politique et l'ordre social. A l'évidence, l'Ugtt ( Union générale tunisienne du travail) et l'Utica ( Union tunisienne de l'industrie, du commerce et de l'artisanat), qui ont pris les devants, sont en train d'assumer un rôle historique qui devrait épargner à la Tunisie bien des écueils et des dérapages incontrôlés. Il leur revient de poursuivre le pilotage de cette phase cruciale pour remettre le pays sur la bonne trajectoire, celle-là même qui lui garantira une bonne gouvernance politique, économique et sociale de ce qui reste d'une période de transition longue et éprouvante.