Il ne faut pas se leurrer. Les protagonistes de la scène politique jouent sur les mots et avec les mots. Pour gagner du temps. Pourquoi ? Nul ne le sait vraiment. Ou plutôt nul ne le dit ouvertement. Les motivations des uns et des autres demeurent obscures. Les agendas sont tenus secrets. Et l'on n'en finit guère de faire du surplace. La crise perdure. Le pays étouffe et les gens désespèrent. Cela n'empêche pas les politiques de s'abîmer dans les querelles de mots. Ce qui équivaut à éluder l'essentiel. Il y a trois jours, le mouvement Ennahdha publiait un communiqué où il daignait bien considérer l'initiative de l'Ugtt comme plate-forme du dialogue sur l'issue de crise. Branle-bas un peu partout dans les états-majors politiques. Pourtant, l'effet d'annonce s'avère trompeur. Parce qu'Ennahdha assène que le gouvernement demeure aux commandes. Comme si de rien n'était. Du coup, le quatuor piloté par l'Ugtt met les points sur les i. Il rappelle qu'il n'y aurait guère de dialogue plausible sans la démission préalable du gouvernement. Le Front du Salut entonne le même son de cloche. Modérant ses propos préalables, il n'oppose cependant plus un niet catégorique à l'initiative pilotée par la centrale syndicale. En d'autres termes, il serait prêt à revoir sa position sur l'Assemblée constituante, dont il réclamait jusqu'ici la dissolution pure et simple. De son côté, Nida Tounès est aux aguets. Il soutient la semaine dite d'Arrahil organisée depuis hier par le Front du Salut. Tout en demeurant en réserve de la République en vue de pourparlers porteurs avec Ennahdha. Le président de l'Assemblée constituante, qui a pris l'initiative d'en suspendre les travaux, consulte à tour de bras. Ne voulant guère demeurer en reste, le gouvernement a procédé ces deux derniers jours à un mouvement au sein du corps des gouverneurs. Mouvement considéré timide, sinon trompeur, par l'opposition qui réclame la neutralité intégrale de l'administration et la révocation des nominations partisanes. Selon certaines sources, sur les quelque mille deux cents nominations opérées au cours des derniers mois, près de 90 pour cent seraient des affiliés à la Troïka gouvernante, dont plus de 93 pour cent de nahdhaouis. Bref, tout ce beau monde s'agite et cogite. Sans qu'on voie le bout du tunnel. Jusqu'ici, la démission du gouvernement, réclamée par un large éventail de sensibilités politiques, demeure un vœu pieu. Et la Troïka, Ennahdha en prime, s'en tiendrait à un simple remaniement sémantique, ou linguistique. C'est-à-dire des mots, toujours des mots, rien que des mots. Entretemps, la situation va de mal en pis. Les craquelures dans l'édifice institutionnel sont telles que l'armée est elle-même bouleversée par les dernières nominations à la tête de l'état-major. L'appareil sécuritaire policier n'est pas en reste. Et cela survient en pleine période de confrontation radicale avec les terroristes dans nos murs et sous nos cieux. Certaines donnes fondamentales de la politique nationale sont chamboulées, ou en passe de l'être. La faiblesse structurelle de la classe politique déborde sur les mécanismes et automatismes de la haute administration. Laquelle a de tout temps été performante et bien rodée, volontiers apolitique et au service des seuls intérêts supérieurs du pays. La révolution n'a pas de prix, certes. Mais elle a un coût. Sous nos cieux, il s'avère particulièrement élevé. L'ardoise est tellement élevée que des générations entières en ressentiront les contrecoups amers. Et la crise politique perdure. N'en déplaise à ceux qui tiennent le haut du pavé, les subtilités sémantiques n'y pourront guère.