Monsieur le ministre Le projet de loi sur la justice transitionnelle est toujours dans les tiroirs de l'ANC, et ce, depuis janvier 2013 et voilà que vous anticipez et commencez à l'appliquer. Comment expliquez-vous, dépassement de tout cadre juridique et les libertés que vous prenez pour décider en dehors de toute concertation ? Le décret-loi n°1 daté du 19 fevrier 2011, dans son article 2, évoque certes la question du dédommagement, mais il renvoie vers l'élaboration d'une loi cadre qui n'a pas encore vu le jour. Pourtant, un questionnaire émanant de votre ministère et remis à certains bénéficiaires de l'amnistie générale parle d'une avance sur les dédommagements par rapport aux préjudices encourus. Or, le projet de loi sur la justice transitionnelle, qui n'est pas encore voté, prévoit la mise en place d'une instance indépendante qui aurait la charge de réfléchir sur ces questions (l'art 42 du projet de loi) et de mettre en place des mécanismes de dédommagement (ils peuvent être individuels mais aussi collectifs, pécuniaires ou symboliques, etc.); rien n'est défini dans le projet de loi qui prévoit par ailleurs la création d'une caisse qui aurait en charge la collecte des fonds nécessaires pour ce volet. On est donc face à un projet de loi encore virtuel, une instance possible et une caisse hypothétique. Cependant, ce questionnaire anticipe sur le projet, décide à la place d'une instance encore virtuelle qui est censée être indépendante et se propose de piocher dans les caisses de l'Etat en attendant la création d'une caisse ? On quitte ainsi le virtuel pour revenir à la réalité, car c'est bien dans les caisses de l'Etat que ces avances seront prélevées. Or, rien n'a été prévu dans le budget de l'Etat 2013 ! Plusieurs questions s'imposent dans ce cas Quel tour de passe-passe a été réalisé pour permettre cela et qu'allez-vous faire avec la règle de la comptabilité publique qui interdit de faire des avances sur le budget ? Qui a déterminé les montants et sur quelle base de calcul ? Quel est le nombre de personnes qui vont en bénéficier et quelle est l'enveloppe allouée à ces avances ? Monsieur le ministre, je sais pertinemment que vous vous souciez des petites gens et que vous souhaitez améliorer le quotidien de ceux qui ont été victimes. Or, vous avez pris une décision unilatérale qui fait fi de tout cadre juridique et vous avez pris partie dans cette affaire avec «des personnes» qui peuvent ne pas être qualifiées toutes de victimes après le passage par l'instance «Vérité et Dignité» encore virtuelle, rappelons-le ! L'instance censée statuer peut décider d'exclure un certain nombre de bénéficiaires pour plusieurs raisons (implication dans des attentats et/ou des actes de terrorisme ayant causé des préjudices à autrui, par exemple). De plus, les difficultés financières et les situations sociales difficiles qui peuvent être évoquées concernent 24% des Tunisiens vivants en dessous du seuil de pauvreté et dont la quasi-majorité sont victimes de l'ancien régime et de sa politique inégalitaire et discriminatoire. Pourquoi les exclure de votre mesure dans ce cas ? Faut-il passer par la case prison pour être reconnu ! L'ex-ministre des Finances, Houssine Dimassi, a avancé, il y a quelques mois, la somme de mille millions de dinars (1.000 MD) comme étant l'enveloppe qui correspondrait au dédommagement, vous vous êtes empressé de nier cette information et de préciser que le dédommagement proviendrait de fonds autres que ceux de l'Etat ? Je vous demande aujourd'hui de répondre à ces différentes questions car les Tunisiens ont le droit de savoir ? La gestion du pays ne relève pas de la science-fiction mais d'une réalité qui prend tous les jours acte du fait qu'on s'achemine vers la construction d'un pays de non-droit.