Comme vous voulez fuir, comme vous avez plein les oreilles et la vue des palabres; la vraie solution se trouve dans l'art. Le soir, dans la paix de la colline de Carthage, la musique reprend ses droits et vient nous rappeler notre destin d‘humbles mortels,mieux, elle nous aide à vivre, ou du moins à espérer. L'Octobre musical qui s'est taillé une belle réputation, est parti en fanfare avec le spectacle coloré du Japon. Parmi les succès à ajouter à son palmarès, la soirée organisée vendredi dernier, par l'Institut français de la culture (IFC), est à marquer d'une pierre blanche. C'est l'histoire d'une rencontre éblouissante entre un astre de la musique classique, altiste de notoriété internationale, qui a accumulé les succès et les honneurs et de jeunes instrumentistes confirmés de l'Ensemble orchestral de Tunisie, dirigé par Rachid Koubâa. Le choix d'un programme, deux stages d'une semaine chacun en forme de master class, plusieurs répétitions et l‘affaire est dans le sac, une formation de musique de chambre type est créée autour d'un projet qui a abouti à un lumineux concert. Départ en délicatesse La salle de l'Acropolium est comble, présence notable d'étudiants en musique, silence à la fois épais et exquis. Sur scène, Gérard Caussé dirige quatorze instruments à cordes, en premier violon solo Sem Slimen et Mourad Frini en premier alto solo, deux violoncelles, une contrebasse et le la est donné. Place à J.N.Hummel (1778- 1837), son œuvre est moins jouée que ses contemporains, mis à part ses concertos, il occupe une place importante dans cette période intermédiaire entre le classicisme et le romantisme dominé par la figure de Beethoven. Départ, en délicatesse avec la Fantaisie pour alto et cordes, Caussé est évidemment en terrain conquis, il a joué cette partition depuis les années 1990, mais ici, c'est la première fois qu'il dirige en public cette formation tunisienne, souplesse et sensualité policée, les cheveux en bataille, il évite les artifices, gestes démonstratifs, mouvements lents, les musiciens ne sont pas intimidés, trac d'examen ? Non, ils sont appliqués et dans leur aise, le public suit les mouvements à la note près, pulsations rythmiques, silences, amples respirations. Fin, Caussé se retourne, applaudissements. Comme vous voulez oublier, ne fut-ce qu'un moment, évadez-vous, partez loin, à la rencontre de Mendelssohn (1809-1847)au programme la Symphonie en si mineur N°10 pour cordes, elle est moins connue que l'Italienne ou l'Ecossaise, mais nourrit l'esprit. Quatre mouvements, admirable adagio, les cordes s'y mettent en ondulations, sans hausser le ton, échanges entre violons et violoncelles, Caussé dodeline de la tête, il impose une couleur, un tissu de notes douloureuses, l'élégance du jeu,ça continue avec l'allegro, de la voltige, à des moments, on se sent à l'intérieur d'un Stradivarius seul à rêver,à côtoyer les nuages, le romantisme, les aiguilles de la souffrance, l'être aimé et les possibles évasions. Oubliés les discours politiques enrobés, les jeux de stratégies, les algarades et autres chicanes de parcours. Ici, on est dans le vrai. Et allégrement on va encore plus loin dans le temps, à l'âge du baroque, avec le Concerto pour alto et cordes de Telemann (1681-1767), considéré comme un maître du genre, à la limite du pré-classicisme, prolifique, des milliers d'œuvres et un style qualifié de galant. L'Ensemble orchestral de Tunisie s'y donne avec entrain, légèreté, cœur joyeux, l'enthousiasme gagne le public. Ovations appuyées. Changement de cap. Norvège. E. Grieg (1843-1907), le plus connu des compositeurs nordiques, considéré comme une gloire nationale dans son pays, il a eu une influence déterminante dans l'art de l'harmonie, Suite Holberg, ou Suite op. 40, cinq mouvements prélude, Sarabande, Gavott, Air et Rigaudon.Hommage à Holberg, contemporain de Bach, inspiration baroque et contrepoint. Les chambristes dirigés par Caussé sont heureux, le public ne l'est pas moins, il réclame un bis, le maestro, répond par des pizzicati virtuoses, taillés pour satisfaire les publics profane ou professionnel. Le temps est suspendu , un ange et puis...un orage d'applaudissements secoue la Cathédrale.