Universitaire et membre actif de l'Association tunisienne de droit constitutionnel, Salsabil Klibi fait un vœu : «Que les quatre sages choisis par les partis assument leurs responsabilités». Quelles sont à votre avis les vraies raisons du blocage du Dialogue national ? Etant des observateurs externes, nous ne pouvons qu'évoquer certaines conjectures ainsi que les manifestations extérieures du déroulement de ce dialogue. A l'origine déjà, le Dialogue national avait rencontré des difficultés et pris beaucoup de temps pour se mettre en place. Des résistances et une certaine méfiance se sont manifestées de la part de la Troïka, et plus précisément du côté du CPR et du mouvement Ennahdha. Par la suite, grâce à la persévérance du Quartet, d'une part, et de la pression de la rue, d'autre part, les partis qui refusaient cette démarche ont fini par rejoindre le dialogue. Toutefois, et malgré ce soupçon de rapprochement entre les formations politiques, nous avons remarqué la multiplication des manœuvres de nature à compromettre l'issue des pourparlers. On pense notamment au refus du CPR de signer la Feuille de route, et aux déclarations contradictoires au sein d'Ennahdha : entre l'acceptation de la Feuille de route par Ghannouchi et le refus de personnalités clés au sein du parti de remettre en question la légitimité électorale et les prérogatives de l'ANC. Deuxième phase : on commence à discuter du choix de la personnalité chargée du poste de chef de gouvernement. Ennahdha se fixe sur un candidat et menace de se retirer du dialogue si Ahmed Mestiri, son élu, n'est pas choisi. Blocage de nouveau. Ghannouchi fait alors une déclaration agressive : « Nous ne pouvons livrer le gouvernement qu'entre les mains sûres d'une partie fiable ». Discours qui exprime une défiance totale et une grande suspicion vis-à-vis de ses partenaires du dialogue. Une telle attitude n'est pas saine. Tout porte à croire qu'il n'y a pas de la part d'Ennahdha de volonté sincère de s'impliquer dans le dialogue. Au fond, le parti refuse de se retirer du gouvernement et de céder la place à un autre cabinet chargé de préparer les prochaines élections, de réviser les nominations et de revoir le fonctionnement de la justice. Pour le parti qui dirige la Troïka, ces enjeux sont vitaux ! Au même moment où le dialogue rencontrait avant-hier après-midi de grosses difficultés, à l'ANC, les députés d'Ennahdha et du CPR multipliaient les amendements du règlement intérieur. « Nous sommes face à un coup d'Etat parlementaire », a fustigé Mongi Rahoui. Qu'en pensez-vous ? Tout le monde était d'accord pour réviser, selon la Feuille de route, l'Organisation provisoire des pouvoirs publics, qui est le texte fondateur par rapport au règlement intérieur de l'ANC. Or, première surprise à l'ANC, la majorité décide de commencer par l'amendement du règlement intérieur avant de revoir l'Oppp. Deuxième remarque, toujours selon la Feuille de route, il y avait un seul article à réviser dans le RI, celui concernant l'accélération du rythme des débats au sein de l'assemblée plénière au sujet de la Constitution. Mais voilà qu'on ajoute à cela deux révisions inattendues qui bouleversent fondamentalement la philosophie générale de l'ANC et ne peuvent être interprétées que comme des mesures de représailles de la part de la Troïka en réponse au départ des députés de l'opposition de la Constituante, le 25 juillet dernier, et la décision de Ben Jaâfar de suspendre les travaux de l'ANC. Désormais, Ben Jaâfar ne dispose plus du droit exclusif de convoquer la séance plénière. La majorité peut le faire à sa place ! Autre mesure votée avant-hier : la majorité anticipant un éventuel second retrait de l'ANC des représentants de l'opposition au cas où le dialogue échouait, a révisé l'article relatif aux sanctions contre les députés absentéistes. Cette réforme du règlement intérieur stipule que ceux qui s'absentent désormais sans justification au-delà d'un certain nombre de jours sont considérés comme démissionnaires ! Une modification qui n'était pas du tout à l'ordre du jour. Une manière d'ôter à l'opposition toute possibilité d'exprimer un quelconque sentiment de protestation ! Qu'est-ce qui pourrait, à votre avis, débloquer cette situation et redonner du souffle au dialogue ? Je pense qu'une grande responsabilité pèse sur les quatre candidats restants. Ceux-là peuvent être considérés comme les quatre sages de la Tunisie. A défaut d'un climat de confiance entre les partenaires du dialogue, peut-être qu'un signe de ce quatuor, une déclaration, une prise de position, une défection d'un ou de deux candidats, pourrait relancer les pourparlers. Si on n'offrait aucune chance à une issue politique à la crise actuelle, le recours serait la rue...et, au bout, la violence !