Ni le discours de Laârayedh, ni celui de Marzouki du mercredi 23 octobre n'ont rassuré ni les Tunisiens, ni l'opposition. Réactions de trois constituants retirés de l'ANC Salma Mabrouk (constituante retirée de l'ANC — Al Massar) : «Du pareil au même et ... le flou» Comme d'habitude, le discours du chef du gouvernement n'était pas clair. C'est-à-dire qu'il y a un refus de se conformer à la feuille de route car il n'y a pas eu une énonciation claire du mot «démission». Ali Laârayedh a utilisé un autre mot «le retrait» (Attakhali). Or, les applications juridiques ne sont pas les mêmes, d'où le flou constaté. En outre, il essaie toujours de lier les deux processus, celui de la démission du gouvernement et celui de la finalisation de la Constitution. Or, ce n'est pas ce qui est indiqué dans la feuille de route, laquelle énonce que la démission effective de son gouvernement aura lieu après la troisième semaine de l'annonce de la démission tandis que la finalisation de la Constitution aura lieu au bout de la quatrième semaine, ce qui est faisable si la volonté politique existe réellement. Car, il n'est pas possible de jouer sur les mots et d'accumuler les retards répétitifs comme cela a été le cas le mercredi 23 octobre au mépris des journalistes, des partis, de la société civile et des citoyens. Quand on voit, de surcroît, le drame que vivent les forces de sécurité intérieure et le danger du terrorisme, on ne peut se permettre de persister dans ce flou orchestré. Le dialogue national ne peut débuter sans qu'il y ait une énonciation claire du mot «démission» qui a des conséquences juridiques claires en conformité avec la feuille de route. Tous les partis politiques participant au Dialogue national ont signé cette feuille de route et si déjà on commence à jouer sur les mots, qu'en sera-t-il au cours des fameuses quatre semaines au cours desquelles se déroulera le Dialogue qui devrait sauver le pays ? Le discours du chef du gouvernement doit être compréhensible par tous les Tunisiens. J'espère que cela sera le cas à l'avenir car, il y a actuellement des rencontres entre le Quartet et les différents acteurs politiques. Houcine Abassi, l'un des parrains du Dialogue national a organisé un programme de rencontres avec les députés retirés de l'ANC afin qu'aujourd'hui même puisse démarrer le Dialogue national. Mais personnellement je suis sceptique car ce qu'on a vécu le mercredi dernier ne prouve pas qu'il existe de réelles dispositions de la part d'Ennahdha pour le démarrage de ce dialogue et ne poussent, donc, pas à l'espoir. D'un autre côté, le discours du président de la République a ajouté encore à l'ambiguïté ambiante. Il a parlé au nom du chef du gouvernement comme s'il y avait d'une part un texte juridique et d'autre part le texte explicatif. Les deux discours sont du pareil au même. Hamadi Jebali, lui-aussi, a fait hier une déclaration ambiguë en liant la démission du gouvernement Ali Laârayedh à la finalisation de la Constitution tandis que, de leur côté, les ministres du CPR refusent de démissionner. Le Dialogue national n'aura lieu que s'il existe une volonté politique claire. Les partis sont prêts à faire sortir le pays de la crise qu'il connaît, mais tout le monde doit être prêt à appliquer cette feuille de route qui ne tolère aucun marchandage. Nacer Brahmi (constituant indépendant retiré de l'ANC) : «Complémentaires et décevants» Les discours du chef du gouvernement, Ali Laârayedh, et du président de la République, Moncef Marzouki, sont complémentaires. Le premier énonce, le deuxième explique. Autrement dit, le discours de Laârayedh c'est le texte et celui de Marzouki c'est l'explication de texte. Ces deux discours ont été préparés à bon escient et en parfaite coordination entre Ennahdha et le CPR. Deuxième remarque: les deux discours ont été décevants, pour la simple raison qu'ils sont dans le sens complètement opposé, d'abord à la feuille de route et ensuite aux attentes de tous, entre partis, société civile et citoyens. Le discours du chef du gouvernement est une négation de l'engagement à respecter la feuille de route, ne serait-ce que parce qu'on y relève deux points qui attestent ce refus : le premier point a trait au fait que Ali Laârayedh se contente de s'engager sur le principe du retrait et pas sur la démission elle-même telle que signifiée dans la feuille de route. Ce qui nous ramène à la case départ quand Rached Ghannouchi a accepté, au bout de quatre heures de discussions avec Hassine Abassi, S.G. de l'Ugtt, l'initiative du Quartet et qu'une heure après, Ghannouchi est renvoyé à ses rêves par un communiqué d'Ennahdha et des déclarations des faucons du mouvement. Le deuxième point est que le chef du gouvernement conditionne sa démission et pose comme conditions le parallélisme entre les deux processus. Celui constitutionnel, c'est-à-dire qu'il n'y aura pas de démission avant que l'ANC n'ait terminé tous ses travaux. Et celui gouvernemental, c'est-à-dire que le chef du gouvernement ne démissionnera pas tant que l'ANC n'aura pas achevé la Constitution, ce qui est en opposition flagrante avec la feuille de route. Tout cela est dans la tradition du style nahdhaoui, entre manœuvres et tergiversations. Concernant maintenant le discours du président Marzouki, il est clair que lui et le chef du gouvernement se sont concertés dans une parfaite entente. Puisque Marzouki a clairement dit qu'il s'est concerté avec le chef du gouvernement sur le principe du retrait, alors que dans la feuille de route, il s'agit de démission. De plus, il a affirmé qu'il n'y aura de retrait que lorsque l'ANC aura achevé le processus constitutionnel, entre l'Isie, le Code électoral et la Constitution. Deuxièmement, ce qui est encore révélateur du refus de ces deux partenaires de la Troïka, c'est que le président de la République a dit que c'est seulement après la finalisation des travaux de l'ANC que le président désignera un nouveau chef du gouvernement. Conformément à l'actuelle Oppp (Organisation provisoire des pouvoirs publics) qui stipule que le président nomme le chef du gouvernement au sein du parti majoritaire de l'ANC, autrement dit au sein d'Ennahdha. En conclusion : les deux discours constituent un vrai camouflet pour ceux qui croyaient qu'on pouvait s'attendre à quelque chose de positif d'Ennahdha et de son acolyte, le CPR, à travers son président d'honneur Moncef Marzouki Mehdi Ben Gharbia (constituant retiré de l'ANC - Alliance démocratique) : «Le principe de la démission, mais...» Le chef du gouvernement Ali Laârayedh a énoncé le 23 octobre, le principe de démissionner. Toutefois, le contexte tendu de son discours a fait que cet aspect positif a été dilué dans tous les autres aspects négatifs car, normalement, on attend d'un chef de gouvernement qu'il soit conciliateur et qu'il soit le chef du gouvernement de tous les Tunisiens. En fait, les manifestations du 23 octobre ont été organisées afin de soutenir le Dialogue national et même s'il y a eu des dépassements. Bref, nous avons proposé, hier, en tant que parti de l'Alliance démocratique, afin d'éliminer toute crainte d'ambiguïté, qu'il y ait un engagement par écrit énonçant que le chef du gouvernement se retirera effectivement trois semaines après l'annonce de sa démission. Le choix du futur chef du gouvernement se fera au cours de la première semaine suivant l'annonce de la démission. Nous avons également proposé que les constituants retirés de l'ANC s'engagent, eux aussi, par écrit à revenir à l'ANC dès le commencement du Dialogue national et à terminer la constitution au bout de quatre semaines. Des pourparlers se déroulent actuellement et il est probable que le Dialogue national démarre aujourd'hui. Maintenant, concernant le discours du président de la République, je dirais: pas de commentaire ! Surtout qu'il a été absent depuis deux mois, dans le processus du dialogue national et que son parti, le CPR, boycotte le Dialogue national et a refusé de signer la feuille de route. En outre, Moncef Marzouki n'a pas joué un rôle important dans la résolution de la crise. Pis encore, son discours a ajouté une dose d'ambiguïté en liant la démission du chef du gouvernement à la finalisation de la constitution. Ce qui est en opposition avec la feuille de route.