Rien ne filtre des négociations diplomatiques réputées pour être efficaces. Rien n'est communiqué aux médias, ni l'heure, ni l'endroit, ni la teneur. Hier, 15 novembre, il devait y avoir passation de pouvoir entre le gouvernement démissionnaire d'Ali Laârayedh et un nouveau chef de gouvernement issu du Dialogue national. Hier, un maître à bord capable de sortir le pays et son peuple de l'impasse aurait dû prendre les clés de La Kasbah. Sauf qu'hier a été une journée grise et plate dépourvue du moindre relief qui pouvait lui apporter du punch et un brin d'espoir aux Tunisiens. Le Dialogue national est suspendu et avec toutes les espérances sont parties en vrille. Comme tous les pourparlers qui ont précédé deux années durant, le dialogue a bel et bien raté. Il s'est heurté à l'obstacle insurmontable du choix d'une personnalité qui fasse consensus. Visiblement, aucune ne l'est suffisamment au goût des uns et des autres. Théoriquement, il n'y a plus en Tunisie un être et un seul, capable de placer les intérêts suprêmes de la Nation au-dessus des calculs partisans. Toujours selon cette analyse, la Tunisie n'a pas enfanté, depuis la génération des pères fondateurs de la République, un seul homme d'Etat ! S'il est réel, c'est un triste constat pour un pays qui a tout misé sur le système éducatif, l'intelligence de ses enfants, et leur génie inventif. Trop d'optimisme nuit Toujours est-il que d'autres facteurs plus « objectifs » ont condamné le dialogue à l'échec. Ils sont détaillés par Zied Ladhari, dans une déclaration à La Presse : « On était un peu trop optimiste quant à la réalisation de l'ensemble des missions dans des délais aussi courts », a-t-il analysé. Selon le fraichement nommé porte-parole du mouvement Ennahdha, aucun délai ne pouvait être respecté, puisque tout engagement est conditionné par l'avancement du processus de Dialogue national, étant suspendu, le compteur s'est arrêté. « Nous étions conscients, dès le début, des obstacles qui seraient de nature à entraver la poursuite de ce dialogue ainsi que la fluidité de ses travaux », argumente encore le député du parti au pouvoir, pour ajouter: « Nous aurions aimé accorder plus de temps aux discussions préliminaires. Après quoi, les échéances pouvaient être fixées et respectées. D'une part, il faut reconnaître la difficulté de trouver une personnalité réellement indépendante. D'autre part, le Dialogue national est un processus avec trois dimensions complémentaires. Or, nous avons l'impression que tout se résume aujourd'hui autour des délais et de la démission du gouvernement. Il y a des priorités dans le pays, nous sommes conscients de leur urgence. Cependant, la question de la mise en place de l'Isie et la finalisation de la Constitution sont également des priorités», a-t-il conclu, tout en assurant que son parti fait tout ce qui est en son pouvoir pour que le dialogue reprenne. Mauvais négociateurs Les Tunisiens avaient la réputation d'être de bons négociateurs et de faire aboutir en leur faveur les négociations les plus ardues. Seulement, les temps ont changé. Pour l'heure, les enfants du pays ont du mal à briller, sur le plan national tout autant qu'à l'international. Toutefois, des vices de forme semblent avoir tué dans l'œuf l'expérience du dialogue. Des négociations de cette importance, où chaque partie prenante aura nécessairement quelque chose à concéder, devaient se tenir dans le plus grand des secrets. Rien ne filtre des négociations diplomatiques réputées pour être efficaces. Rien n'est communiqué aux médias, ni l'heure, ni l'endroit, ni la teneur. Seules les conclusions sont publiques. Pour leur donner le maximum de chance d'aboutir, les arrangements se tiennent également dans un cercle restreint. Uniquement les acteurs pourvus d'une légitimité représentative, quelle qu'elle soit, y prennent part. Enfin, une règle de bon sens avant d'être stratégique. L'avenir d'un pays se doit d'être négocié avec des personnes responsables, en mesure de s'interdire de faire fuiter des informations pouvant compromettre les pourparlers en cours. Or, des participants au dialogue doublés de parfaits inconnus, profitant de l'aubaine médiatique, se plaçaient devant les micros, souriant ou avec un air important, pour critiquer, rejeter ou appuyer des noms. Sans parler de ceux qui ont trouvé naturel et légitime de boycotter le dialogue. Alors que certains d'entre eux ne représentent pas grand-chose, quelle que soit la grille d'évaluation et de quantification de leur poids. Les médias qui font feu de tout bois, et leur donnent une tribune pour exécuter une initiative nationale autant décisive pour le pays, c'est bien une autre question. Le manque de volonté de quitter le pouvoir Dans une déclaration à notre journal, Taieb Baccouche, secrétaire général de Nida Tounès, impute les raisons de l'échec du dialogue « à la mauvaise volonté de la Troïka au pouvoir, également à la nuisance de certaines de ses composantes, que ce soit à l'Assemblée et de ses deux exécutifs qui en sont l'émanation. Cet échec est dû à de nombreux obstacles greffés sur le parcours des initiatives du Quartet. D'abord, l'ère Ben Ali a marginalisé sur le plan médiatique beaucoup de personnalités du pays. Certains technocrates de valeur ont travaillé avec Ben Ali. Ils sont considérés par certains comme indésirables alors qu' ils sont en fait de grands commis de l'Etat et peuvent être utiles, mis à part ceux qui traînent casseroles. De l'autre côté, beaucoup de compétences ont travaillé dans le gouvernement de la première transition, Ghannouchi et Caïd Essebsi. Ces gens sont acceptés par certains et ne le sont pas par d'autres. Quant aux délais, je dois dire que cette question est sur le tapis depuis octobre 2012. La cause essentielle de ces ajournements est l'absence de volonté de quitter le pouvoir de manière honorable. Dès le début, ils n'ont pas voulu se limiter à une année, ils n'ont pas voulu le mettre noir sur blanc dans la petite Constitution. Entre-temps, ils sont en train de placer leur personnel partisan et, parallèlement, de détruire de manière systématique l'Etat. Le problème n'est pas une question de délai. Le problème de fond, c'est l'Etat tunisien et son administration qui sont en train d'être détruits », accuse le secrétaire général qui annonce encore à La Presse que son parti n'a pas l'intention de reprendre le dialogue sur les mêmes bases qui ont prévalu il y a quelques semaines. Le Quartet doit changer d'approche, conseille encore M.Baccouche, le fait de réunir autour de la même table, 22 partis en plus du quartet, c'est devenu comme un marché. C'est de l'irresponsabilité, s'insurge M. Baccouche, des noms respectables sont devenus objet de surenchère», a-t-il dénoncé. Tout porte à croire que le dialogue ne reprendra pas de sitôt, ou peut-être jamais. Sauf si les parties prenantes avaient le génie politique de profiter de cet intermède pour mener des négociations secrètes.