En l'absence de l'opposition, aucune nuance, ni le moindre contrepoint n'avaient pu être apportés à cette séance qui rappelle, elle aussi, les sessions monotones de l'ancien régime. C'est après moult digressions et troubles de toutes sortes que la plénière a enfin démarré hier vers 16h, en présence du ministre de la Justice et ministre des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle ; et en l'absence remarquée et plusieurs fois décriée du ministre de l'Intérieur qui s'est excusé pour empêchement. L'unique point à l'ordre du jour s'articule autour des plaintes déposées, suite aux cas de torture enregistrés dans des affaires de terrorisme. Un moment riche d'émotion, tout de même, avant le démarrage du débat, avec la présentation de Fadhel Saghraoui, successeur de feu Mohamed Brahmi. Fraîchement désigné, l'élu du Mouvement du peuple, après avoir prêté serment, annonce au micro son ralliement aux constituants de l'opposition. A peine rentré, il est vite ressorti, pour boycotter avec éclat les travaux de l'Assemblée. Face à un hémicycle à moitié occupé, la première vice-présidente, Mehrezia Laâbidi, donne la parole aux constituants. Leurs interventions étaient uniformes, données presque toutes dans le même tempo, seule la graduation du ton faisait parfois la différence. Les constituants se sont accordés, chacun avec son vocabulaire, parfois le même d'ailleurs, à condamner de la manière la plus vive et la plus ferme les vieilles pratiques revenues en force du régime policier de Ben Ali. En l'absence de l'opposition qui a déserté les travées, aucune nuance, ni le moindre contrepoint n'avaient pu être apportés à cette séance qui rappelle, elle aussi, les sessions monotones de l'ancien régime. « Délit de faciès » En présentant des noms de « victimes » qui auraient subi toutes sortes de préjudices dans plusieurs régions du pays, les constituants ont relevé les dérapages dont les corps de l'institution sécuritaire seraient responsables. Les descentes de police sur des maisons la nuit, les interpellations musclées, les pratiques dégradantes et humiliantes pour extraire les vœux, les conditions inhumaines d'arrestation, de détention préventive et carcérale ont été unanimement condamnées. Les deux ministres ont été plusieurs fois appelés à répondre sur des cas d'incarcération de mineurs dans des prisons d'adultes, ainsi que sur les violences pratiquées à l'endroit des familles et des femmes des personnes interpellées. Dans leur majorité, les constituants ont dénoncé ce qu'ils ont considéré comme la diabolisation de la composante salafiste de la société tunisienne. Pour peu qu'on porte une « barbe et un kamiss », on est coupable, ont martelé plusieurs d'entre eux. Raouf Ayadi a donné un nom à « cette dérive de la police » pour s'insurger contre le « délit de faciès ». Il a recommandé la formation d'une commission relevant de l'ANC pour discuter avec les guides et notables des salafistes ainsi qu'avec cette « faction qui a été désignée comme terroriste, (Ansar Echariaa ndlr) pour tenter de trouver un protocole d'accord, et préserver le sang des Tunisiens et de tous ses enfants » a-t-il encore conseillé. Jugée pertinente, la proposition du président du mouvement Wafa a été reprise par des députés du parti Ennahdha L'égalité de tous face à la loi est un élément plusieurs fois évoqué comme étant un droit constitutionnel et fondateur de toute démocratie. Les élus se sont demandés à ce titre, si l'homme d'affaires Kamel Eltaïef était au-dessus de la loi. Puisque aucun mandat de dépôt ni d'amener n'ont été exécutés à son encontre. Deux poids-deux mesures Le cas de Walid Denguir, ce jeune décédé en début de ce mois au commissariat d'un quartier de Tunis, a été donné comme un signe irréfutable du retour à la torture dans les geôles tunisiennes. Une ambiance vindicative qui a viré au plaidoyer contre les forces de l'ordre. Très peu sont les élus qui ont rendu hommage aux institutions sécuritaires et militaires qui ont donné des martyrs à la nation, et à qui revient la mission dangereuse et vitale de la protection de la Tunisie et de son peuple. Ainsi, les demandes d'intervention étaient si nombreuses bien que répétitives que les ministres n'ont pas pu encore répondre, à l'heure du bouclage, aux nombreuses interpellations dont ils ont fait l'objet. Quoi qu'il en soit, et malgré l'enseigne honorable du respect de la loi, et de la dignité humaine sous laquelle s'inscrit cette plénière, une note amère s'en dégage. Le respect du droit et des valeurs ne doit être soumis, à priori, à aucun filtre sélectif qu'il soit idéologique, politique, racial ou religieux, ni faire l'objet d'aucune solidarité mécanique. Pourtant cette séance plénière semble être le cas. Ces mêmes élus ne se sont pas révoltés quand leurs propres collègues ont été violontés et humiliés dans la rue, un certain 9 avril. Ils ne se sont pas insurgés contre les armes à la chevrotine lancées sur les jeunes de Siliana. Ils n'ont pas réclamé la relaxe des jeunes rappeurs emprisonnés pour des chansons. La liste des dérapages de la police et de la justice est encore longue, hélas. Il suffirait de citer les deux cas de Ghazi Béji et Jaber Mejri, les jeunes de Mahdia condamnés pour leurs opinions. Le premier a obtenu le titre de premier réfugié politique après la révolution tunisienne, le deuxième croupit en prison. Or, ni ces députés, ni le ministre des Droits de l'Homme, ni d'ailleurs le président de la République, droit-de-l'hommiste en son temps ne se sont crus obligés de défendre à travers eux les droits fondamentaux d'opinion et de croyance. Or, les deux poids deux mesures dans le registre du respect des droits de l'Homme et de la dignité humaine apportent un coup dur à la crédibilité de toute action.