Par Boubaker BEN KRAIEM(*) J'ai relevé, avec consternation, stupéfaction et une immense inquiétude une très grave et importante information relative à un secteur vital pour notre pays, le seul qui s'est bien positionné depuis des décennies, grâce à la compétence et au dévouement de certains cadres compétents et patriotes, sur le marché mondial malgré une concurrence intraitable. Il s'agit, en effet, de questions sérieuses et gravissimes relatives à nos phosphates. C'est à travers le journal La Presse du 22 novembre que j'ai appris que le président-directeur général de la CPG (Compagnie des phosphates de Gafsa) a assisté à la réunion tenue à Gafsa sous la présidence du ministre conseiller auprès du chef du gouvernement chargé de l'investissement et en présence du gouverneur de la région et des cadres sécuritaires et judiciaires régionaux. Il a rappelé à l'assistance que la compagnie a joué pleinement son rôle social en recrutant, pour ses besoins propres, 2.580 employés et en créant deux filiales (une société de dépollution des sites miniers et une autre de transport des produits miniers employant pour la première 2.700 agents et pour la deuxième 1.800 personnes). Il a eu aussi, le moins que l'on puisse dire et étant donné les difficultés financières énormes que traverse l'entreprise, le courage de tirer sérieusement la sonnette d'alarme : en effet, après tout ce qui a été fait pour répondre aux attentes des jeunes de la région, il informa l'assistance qu'il y a une très forte éventualité et même possibilité, si la situation dans la Compagnie n'évolue pas positivement en 2014, de mettre prochainement les cadres et les employés du groupe en chômage forcé. Il étaya ses propos en précisant que la production des trois dernières années 2011, 2012, et 2013 en phosphates a été de 8,2 millions de tonnes alors que celle de l'année 2010 a été de 8,1 millions de tonnes. Ceci est grave, très grave et même gravissime. Où allons-nous ? Cette information décourageante et même catastrophique que les médias, occupés par la couverture du Dialogue national qui commence à désintéresser une grande frange de la population, n'ont pas relevée alors qu'elle touche au devenir d'une des plus importantes sources de financement de notre économie, donc de notre pays, me laissa non seulement perplexe mais encore m'assomma d'une profonde inquiétude. Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment avons–nous laissé péricliter ce produit noble qui représente notre seule et unique richesse minérale, celle qui nous fournit une bonne partie des devises dont nous avons grandement besoin pour importer les équipements nécessaires au développement du pays, et celle qui est indispensable à l'équilibre de notre balance commerciale. Comment les gouvernements successifs ont-ils laissé cette situation pourrir trois ans durant? Comment ont-ils fermé les yeux alors qu'ils recevaient, certainement et régulièrement, les statistiques relatives à la production d'une manière régulière, qu'elle soit mensuelle ou annuelle ? Faut-il être sorti de St-Cyr ou de Polytechnique pour relever l'enjeu et apprécier la gravité de pareille situation ? Est-ce normal qu'on permette à certains de nos concitoyens vivant une situation de chômage parfois injuste, souvent pénible et que nous comprenons parfaitement, d'interdire aux travailleurs l'accès aux sites miniers ou d'empêcher les trains de marchandises de transporter les phosphates ? Comment n'y a-t-il pas eu de réaction énergique vis-à-vis de ces sit-inneurs ? Comment les a-t-on laissés, s'agissant presque d'un sacrilège, commettre pareil «crime» économique puisqu'il s'agit d'une richesse nationale ? Beaucoup de questions m'interpellent et me gênent : pourquoi aucun responsable régional ou national, directeur, directeur général, gouverneur, ministre, chef de gouvernement, n'a eu le courage, lorsque les pertes de mévente des phosphates, en 2011, ont frôlé la catastrophe en se chiffrant en milliards de dinars par rapport à 2010, de taper sur la table pour prendre les décisions qui s'imposent afin de protéger les sites miniers de A à Z (le droit des travailleurs qui veulent rejoindre leur lieu de travail — le convoyage par des personnels armés que ce soit de la police, ou de la Garde nationale ou de l'armée des trains transportant les phosphates), l'intérêt national justifiant ces mesures ? Est-ce que la liberté, est-ce que la démocratie nous autorisent à laisser faire ces jeunes, ces demandeurs d'emploi avec lesquels nous compatissons entièrement ? Est-ce par soucis électoralistes qu'on a laissé des jeunes, irresponsables politiquement, paupériser toute une région et, par là même, tout le pays ? Y a-t-il des forces occultes qui veulent détruire cette remarquable infrastructure économique que nous avons bâtie, pierre par pierre, en cinquante ans d'indépendance ? Cherche-t-on à appauvrir, somaliser ou afghaniser notre pays, la Tunisie, l'héritière de Carthage ? Je tiens à rappeler que les milliards de dinars de mévente auraient pu être utilisés pour boucler le budget de l'Etat et qu'on n'aurait pas été obligés, pour ce faire, d'aller quémander des prêts à l'étranger et demander à une grande puissance de garantir ces prêts parce que nous ne sommes, malheureusement, plus crédibles. Voilà les résultats de ces sit-in, Messieurs les responsables et surtout les résultats de cette passivité, de cet immobilisme et de cette incompréhensible inaction qui ont fait que nous n'avons pas utilisé, d'une manière tout à fait légale, la force publique pour protéger les richesses du peuple. Peut-on savoir pourquoi cela n'a pas été fait ? D'autre part, faut-il rappeler les conséquences de ces incalculables arrêts de travail forcés dans les sites, c'est-à-dire l'arrêt de l'exportation des phosphates : 1 - un manque à gagner annuel se chiffrant en milliards de dinars, 2 - la perte de nos clients traditionnels qui ne reviendront pas facilement, 3 - l'aggravation certaine de notre déficit en devises, 4 - l'aggravation du déficit de notre balance des paiements. Messieurs les gouvernants, compte tenu de tout ce qui précède, l'heure est grave et la situation de la CPG ne peut continuer de la sorte. Il est regrettable que cette situation dure depuis trois ans et il est incompréhensible que cela n'ait pu être traité et réglé, une fois pour toutes, en 2012. Je propose que tout en continuant à garder avec cette jeunesse désœuvrée des canaux de dialogue permanent, l'on prenne des mesures énergiques pour imposer le respect de la loi en ayant recours à la mise en place, dans chacun des sites (Métlaoui, Redeyef, Moularès et Mdhila) et dans les trains transportant les phosphates, des éléments de la force publique, en nombre dissuasif, pour assurer le fonctionnement normal dans tous les sites miniers et pour qu'aucun perturbateur ne vienne remettre en cause cette mesure indiscutable. La consigne à donner au commandant de la force publique sera très simple : aucun arrêt de travail dans les sites miniers, non autorisé par la CPG, ne sera toléré et aucun train ne sera empêché de circuler librement. Un ordre bref, clair et précis est suffisant. Surtout pas d'insinuations ou de possibilités d'interprétation. Je lance un pressant appel à Monsieur le chef du gouvernement pour qu'il consacre le temps nécessaire à cette grave et importante question, et je demande aux acteurs de la société civile de mettre les pressions nécessaires pour que cette richesse nationale, vieille de plus d'un siècle, soit préservée et développée et continue à enrichir la région et le pays. Mon Dieu, Clément et Miséricordieux, protégez notre chère Tunisie et donnez assez de sagesse à nos gouvernants, quelle que soit leur couleur politique, pour qu'ils œuvrent, non pour l'intérêt de leur parti, mais plutôt pour celui du pays. Amen. *(Ancien P.-d.g .d'entreprise nationale, ancien gouverneur de Sidi Bouzid et du Kef)