EN temps de crise, la conjoncture est par essence imprévisible. Rebondissant à souhait, elle frappe là où l'on s'y attend le moins parfois. En prévision des élections de mi-mandat de novembre 2010, l'establishment américain craignait surtout les contrecoups de la réforme de la santé. Les stratèges démocrates du Président Obama voudraient bien mettre en avant son bilan d'étape. Mais justement, il n'y avait guère jusqu'à il y a peu de bilan plausible. Tant mieux, se dirent plus d'un. Par les temps qui courent, pas de nouvelles, bonne nouvelle. Mais c'est compter sans les ricochets vicieux de la conjoncture. Pour une fois, les banques se sont mises en sourdine. Si elles font encore parler d'elles, elles ne tiennent en tout cas pas le haut du pavé. Du moins pour le moment. En revanche, il n'est pas exclu que la marée noire en Louisiane soit précisément le Katrina de Barack Obama. Un peu trop tôt pour y souscrire ? Le chef de la Maison-Blanche a tenu à prendre le taureau par les cornes. A preuve, son discours solennel prononcé mardi dernier au bureau ovale et retransmis en direct par des centaines de chaînes télé. Mais, à en croire les commentaires de la presse américaine, ce discours semble avoir eu des effets contre-productifs. Il n'aurait pas convaincu grand monde. Pis, il sème le trouble sur la gestion au sommet d'une catastrophe écologique en cours depuis deux mois. Le New York Times n'y va pas du dos de la cuillère. Il titrait le lendemain : "Au 56e jour, l'appel à prendre les armes". Même analyse du côté du Washington Post : "Le fait qu'Obama ait choisi de faire son discours depuis le Bureau ovale souligne l'ampleur du désastre tant d'un point de vue écologique qu'économique dans la région du golfe". USA Today renchérit: Obama "n'a parlé qu'en général, usant de termes déconnectés de la réalité pour appeler le Congrès à voter une réforme de l'énergie cette année…Il a consacré le dernier quart de son discours à l'adoption d'une loi sur l'énergie mais il n'a pas exposé les contours spécifiques d'un nouveau texte de compromis". Politico enfonce le clou : "Le Président Barack Obama a déclaré la guerre à la marée noire qui se répand dans le golfe du Mexique mardi. Dommage que ses troupes attendent encore un plan de bataille clair". Le Président Obama se serait bien passé de ces commentaires au vitriol. Il veut démontrer qu'il y a un commandant dans l'avion. On en veut au commandant de s'être prononcé trop tard. Le jour-même de la publication desdits commentaires, Barack Obama a convoqué à la Maison-Blanche les patrons de la compagnie britannique BP. Il y avait notamment Carl-Henric Svanberg, président de BP, Tony Hayward, son directeur général, et Lamar McKay, son responsable Amérique. Nullement fortuite ou simple tape-à-l'œil, la rencontre a donné des résultats concrets et immédiats. BP s'est ainsi incliné, acceptant de placer 20 milliards de dollars sur un compte bloqué destiné à dédommager les victimes de la marée noire : "Ces 20 milliards de dollars vont assurer que les demandes d'indemnisations des habitants et des entreprises seront honorées. Et ce n'est pas un plafond. Les gens du golfe du Mexique ont ma parole, BP répondra à ses obligations à leur égard", a affirmé le président de BP. Certes, on échafaude les issues de crise les plus invraisemblables. Mais BP ne semble pas au bout de ses peines. Sa valeur boursière a chuté de 48% tandis que le coût des réparations qu'elle devrait compenser s'élève à des dizaines de milliards de dollars. Et puis il y a comme un air d'humiliation. Jusqu'ici, deux mois durant, BP a été dans l'incapacité de stopper la fuite du puits endommagé. L'ampleur du désastre a été, quant à elle, sous-évaluée initialement. Ainsi, si entre 35.000 et 60.000 barils de brut se déversent chaque jour dans le golfe du Mexique, cela en dit long sur le fourvoiement des dirigeants et experts de BP. Ils ne tablaient que sur 5.000 barils par jour. Bref, le désastre est colossal. L'inertie qui lui est immanente est inexcusable. Et le Président Obama craint d'en faire les frais aux élections de mi-mandat de décembre. Auquel cas, ce ne seraient guère les seules nappes de pétrole qui auraient coulé au golfe du Mexique. Et le coût global de la marée noire se serait avéré très très cher…