• Peintre de l'abstraction par excellence, Néjib Belkhodja (1933-2007) est entré de son vivant dans la légende. La spécificité de son art, facilement identifiable, porte le sceau éminent de l'authenticité dont il a fait son cheval de bataille. Voilà trois ans déjà depuis que le grand artiste nous a quittés et, pourtant, l'œuvre considérable de Néjib Belkhodja continue de nous interpeller par cette empreinte authentiquement tunisienne qui définit sa peinture. Si les points focaux de l'inspiration de l'artiste coïncident avec certaines exigences et certains principes de l'astractionnisme, il n'en demeure pas moins qu'il a réussi à ne jamais se couper de ses racines et à surmonter le danger de l'uniformisation artistique. Vivre en symbiose avec son milieu Imbu jusqu'à la moelle des valeurs du patrimoine architectural, la peinture de cet enfant de la Médina est restée profondément nationale. Il a réussi la parfaite symbiose, pas du tout évidente, de concilier le langage universel, ainsi que les recherches picturales modernes en cours en Amérique et en Europe, avec son inspiration ancrée et enracinée dans sa propre culture. Ainsi donc, son abstractionnisme n'obéit à aucune tendance et ne colle point aux lois immuables de ce courant artistique et à son rythme propre à l'empêtrer et l'enferrer dans des formules restrictives et, sans aucun doute, castatrices de sa liberté de mouvement. Ce qui marginaliserait sensiblement sa position et réduirait ses œuvres à une pâle et insignifiante imitation de ce qui se fait ailleurs. De ce point de vue, Néjib Belkhodja est parvenu à dominer, maîtriser ce processus et le réduire et l'assujettir à sa propre conception. Contre l'aliénation culturelle La peinture de Néjib Belkhodja puise sa source d'inspiration dans le paysage urbain, l'architecture traditionnelle de la ville arabe. Point de doute qu'on le confonde avec un autre artiste. Point d'équivoque non plus sur la singularité et l'originalité de sa démarche qui a structuré tous les concepts en les adaptant aux normes de ses valeurs picturales : lignes droites, courbées, brisées, verticales, horizontales, diagonales qui constituent en définitive les cellules originelles de sa vision. Son souci a toujours été de s'inscrire en faux contre ces pseudo-artistes que la recherche rebute parce qu'ils privilégient un certain art de type folklorique, académique ou carrément commercial. Une sorte d'aliénation en totale rupture avec la recherche, la quête de l'authenticité. Une recherche axée sur une substance formelle, on ne peut plus tunisienne, exprimant par la forme et la couleur quelque chose d'inhérent à une sensibilité particulière. Celle liée à son milieu ambiant, la vieille Médina où il a toujours vécu et qui, dans son subconscient, se confond avec l'identité nationale, longtemps assimilée à un quelconque folklorisme «comme si l'apparence est l'essence, le contenu et le patriotisme la solution au problème de la culture nationale». Artiste de tous les combats Artiste militant, Néjib Belkhodja s'est fait remarquer au milieu des années 60 par ses activités au sein du «Groupe des six» qui prônait l'innovation culturelle. Celle-ci s'exerçait à plusieurs niveaux de l'action, notamment face aux tendances et clichés artistiques institutionnalisés par la culture coloniale, toujours prompte à entretenir une image d'Epinal de l'identité nationale. Ces formes d'expression, issues de l'académisme ou d'une parodie ridicule et superficielle des traditions orientales, favorisent le malentendu entre le problème de la forme et celui de l'essence, plutôt que d'encourager des recherches expérimentales et visuelles. Homme attentif et toujours soucieux de maintenir une curiosité éveillée, il a longtemps milité pour que la création ne dégénère pas en un immobilisme bureaucratisé et en antagonisme entre les générations. En authentique citadin, profondément épris de la magie de ces lieux, il a tenté, avec succès, de restituer leurs spécificités architecturales par les formes et les surfaces qui, loin de toute symétrie, sont découpées en profils géométriques qui ont fait sa réputation. Artiste de l'alternance des ombres et de la lumière, Néjib Belkhodja était également un peintre de la mémoire qui est parvenu à élaborer un langage conceptuel et une esthétique hautement sophistiquée. Il est arrivé à dire quelque chose de tunisien dans un langage abstrait universel.