La volonté de clore cette période transitoire et de doter la Tunisie d'une Constitution est enfin perceptible. Mais comme presque toute la copie est à revoir, le provisoire risque de durer dangereusement plus longtemps C'est l'article 48 du projet de Constitution qui a été revu hier dans le cadre de la commission parlementaire des compromis. Après cinq longues heures de discussions, une formulation consensuelle a été acceptée par tous pour cet article qui représente la pierre angulaire du chapitre droits et libertés. Egalement, la liste des points d'achoppement sur lesquels il faudra s'entendre a été définie d'un commun accord. Une liste longue qui traverse la mouture actuelle de bout en bout. C'était hier à 11h30 que la réunion à huis clos de la commission des compromis a démarré, présidée par Mustapha Ben Jaâfar. Cette commission créée dans la précipitation, pour tenter de sortir de l'impasse dans laquelle se trouvent le texte fondamental et le pays avec, cristallise tous les espoirs et suscite beaucoup de craintes. Elle se compose d'une vingtaine d'élus : cinq députés d'Ennahdha, quatre du Bloc démocratique, 2 d'Ettakatol, 2 du CPR. Les indépendants sont au nombre de 5. En plus du président de l'Assemblée et du rapporteur général. Cette excroissance de l'ANC, plus politique que juridique, représente de facto la dernière marche, avant d'entamer en plénière les discussions, article par article, du projet de Constitution. Si celle-ci est ratée, les contradictions actuelles qui minent le texte fondamental resteront en l'état, pour, à terme, bloquer l'ensemble du processus de vote. Deux identités pour un seul pays, l'une civile, comme le stipule l'article 2, et l'autre ouvrant la voie à un régime théocratique, confortée par l'article 141. Des libertés conditionnées au nom d'un exceptionnalisme arabo-musulman. Et ici et là, des passages controversés, portant sur les pouvoirs judiciaire ou encore exécutif. Le chapitre des dispositions transitoires apparaît à lui seul comme l'indépassable pomme de discorde. Compromis sur certains points et jamais sur d'autres ? Tout porte à croire qu'il y a plus de raisons de s'inquiéter que de se réjouir. Samira Maâri, ancienne membre de la commission qui s'est retirée pour céder sa place à Mongi Rahoui, nous confie son profond désenchantement : « Les points supposés réglés sont remis sur le tapis, comme le Conseil supérieur de l'islam ou la liberté de conscience. L'esprit qui prévaut n'est pas celui du consensus, mais se construit autour d'un barème de concessions, une pour une. Ce n'est pas avec ce mental que nous pourrions venir à bout des contradictions», conclut-elle, visiblement inquiète. Au sortir de la réunion, à 16 heures passées, Mohamed Gahbiche estime longues tout en étant amicales les discussions qui ont duré plus de cinq heures. Le travail s'annonce néanmoins colossal. Ce qui a poussé M.Ben Jaâfar à prévenir au cours de la réunion que le texte ne sera pas revu dans sa totalité. N'empêche, les articles qui doivent nécessairement être rediscutés, en vue d'une reformulation ou d'une totale suppression, sont nombreux, détaille le député du groupe démocrate : à l'image de quelques phrases du préambule et des principes généraux. Ainsi que de certains articles relevant du pouvoir exécutif (73, 76, 77, 80 et autres), du pouvoir judiciaire (109, 112, 115, 117), des instances constitutionnelles (l'article 124 qui concerne l'instance des médias). L'article 141 et ses alinéas figurent dans la liste en bonne place. Le chapitre 10 avec ses dispositions transitionnelles, également. M. Gahbiche espère certaines concessions par Ennahdah et ses alliés, sur des points litigieux importants, comme l'article 141. En revanche, pour ce qui a trait au pouvoir judiciaire, il laisse voir son scepticisme, précisément sur les articles portant sur la composition de la Cour constitutionnelle et ses attributions, ou encore de l'indépendance du parquet par rapport au ministère de la Justice, cela semble plus difficile, pour ne pas dire presque exclu, d'attendre quoi que ce soit, a-t-il regretté. Pour sa part, Zied Ladhari, député du parti Ennahdha, juge constructifs les travaux de cette commission, et déclare à notre journal qu'en plus de la première liste, un deuxième round de discussions est prévu, pour débattre de certains amendements proposés par un petit nombre de députés. Le tout est organisé, confirme-t-il, pour aplanir les divergences et procéder à une adoption le plus rapidement possible du projet de Constitution. Le planning des réunions de la commission des compromis a été arrêté hier à trois rencontres par semaine. Il pourrait être accéléré, si besoin. La volonté de clore cette période transitoire et doter la Tunisie d'une Constitution est enfin perceptible. Mais comme presque toute la copie est à revoir, le provisoire risque de durer dangereusement plus longtemps.