«L'absence de garantie à ce propos dans le projet de Constitution est la raison principale de la grève», déclare Raoudha Karafi, présidente de l'AMT La grève de trois jours, entamée le mardi 7 janvier par les magistrats, se poursuivra aujourd'hui. Durant les deux premiers jours, le taux de participation a atteint, selon Raoudha Karafi, présidente de l'AMT (Association des magistrats tunisiens), 90%. Cette grève est observée pour au moins deux raisons importantes : «La première a trait au refus de la ratification par le chef du gouvernement Ali Laârayedh du mouvement partiel des mutations et promotion des magisrats entrepris et annoncé le 10 décembre par l'Ipoj (Instance provisoire de l'ordre judiciaire). La deuxième raison concerne l'absence de garantie de l'indépendance de la justice dans le projet de Constitution. Raoudha Karafi explique : «Le chef du gouvernement a refusé de ratifier le mouvement partiel effectué par l'Ipoj considérant que sa composition est illégale. Or, il s'agit-là d'une intervention du gouvernement dans la composition de l'Instance. Ce qui va bloquer son activité, car la prérogative la plus importante de l'Ipoj c'est justement le mouvement partiel des magistrats. Pis, le ministre de la Justice a fait hier une déclaration très grave en affirmant que la Justice ne peut être indépendante dans l'immédiat en raison des affaires de corruption. Or c'est le même comportement suivi par l'ancien régime dictatorial et le prétexte qu'il utilisait pour priver la justice de son indépendance. Il s'agit d'un faux prétexte car la discipline est l'un des outils de contrôle de la corruption et des dépassements au sein du corps judiciaire. Et si l'Instance est aujourd'hui bloquée elle ne peut plus remplir sa mission de contrôle de tous les dépassements qui peuvent subvenir et l'on revient à l'impunité des magistrats, faute de sanctions. C'est pourquoi je pense que le gouvernement veut paralyser l'Ipoj pour créer un vide et revenir à la loi 67 portant sur le statut des magistrats de l'ordre judiciaire. Cela parce que le gouvernement s'est aperçu qu'il n'a plus une mainmise totale sur la justice étant donné la marge de liberté dont jouit l'instance. En conclusion, je dirais, concernant ce point, que l'objectif de ce blocage et de la rupture du dialogue entre le ministère de la Justice et les organisations représentant les magistrats n'est autre qu'une manière d'arrêter la réforme de la justice». Les articles 112 et 109 sur la sellette Les articles 112 et 109 du projet de la Constitution font également l'objet de la mobilisation des magistrats. «L'article 112 stipule que le ministère public exerce ses fonctions dans le cadre de la politique pénale du gouvernement et non pas dans le cadre de la politique pénale générale de l'Etat», souligne la présidente de l'AMT. «Ce qui, poursuit-elle, instaurera une complète soumission du parquet aux instructions du pouvoir exécutif et pourra même aller à l'encontre des lois dans le domaine de la lutte contre la criminalité, le terrorisme et la corruption. La soumission du ministère public à l'exécutif porte atteinte à l'indépendance de la justice et pourrait servir, ainsi, les intérêts partisans du gouvernement au pouvoir et non pas l'intérêt de la société. Ce qui est une menace pour la démocratie. Un ministère public faible ne pourra pas protéger les libertés fondamentales et pourrait, au contraire, être instrumentalisé contre ces libertés». L'article 109 qui concerne le Conseil supérieur de la magistrature «fragilise, toujours selon la présidente de l'AMT, les garanties de l'indépendance de la justice au niveau de la composition du conseil, l'article stipulant que la conseil n'est pas composé d'une majorité de magistrats élus comme l'exigent les standards internationaux de l'indépendance de la justice, mais sera composé d'une majorité de membres élus qui pourraient être des non-magistrats élus par majorité politique partisane du prochain Parlement. Ce qui risque d'instrumentaliser et de politiser l'instance». Bref, la grève qui se poursuivra aujourd'hui avec présence sur les lieux de travail n'a pas concerné les affaires urgentes de terrorisme, de référé, de supension de garde à vue, etc. «Par ailleurs, contrairement à ce qu'a avancé le ministre de la Justice, Nadhir Ben Ammou, les tribunaux n'ont pas fermé leurs portes et les droits des citoyens sont assurés. Il n'y a donc aucune entrave à la marche de la justice concernant les affaires urgentes. Je rappelle à M. le ministre qu'avant d'en arriver là nous avons eu recours à plusieurs moyens de lutte pour la garantie de l'indépendance de la justice : le port du brassard de contestation, les sit-in à l'intérieur de nos locaux, les protestations devant le Premier ministère et le ministère de la Justice. En vain». Après ce mouvement de trois jours de grève, que compte faire les magistrats pour sensibiliser la commission des compromis à la nécessité de réformuler les articles 109 et 112 et la lutte pour l'indépendance de la justice ? Raoudha Karafi avoue que toutes les grèves que les magistrats ont observées servent non pas des intérêts sectoriels et matériels, mais l'intérêt général de la société pour l'indépendance de la justice, laquelle garantit une réelle démocratie. «En l'absence de tout dialogue ou négociation entre l'ATM et le ministère de tutelle, nous allons procéder à une évaluation de notre mouvement, maintenir la vigilance et fixer les moyens nécessaires de lutte pour une justice libre et indépendante», conclut-elle.