Malgré leur savoir-faire et leur créativité, les habitants de Aïn Draham vivent des jours difficiles... Abdallah et sa femme Noura se sont installés dans leur maison à El Ahouass (Aïn Draham) dans les années 1970. Ils ont respectivement 57 et 54 ans. Abdallah ne «travaille» plus depuis 2011. «La révolution? C'est un accident de la route...», plaisante-t-il. Il sculptait le bois et vendait des gazelles et autres objets décoratifs aux touristes. Il organisait également des randonnées dans la montagne. «Il nous est arrivé aussi d'héberger des étrangers. En 2005, par exemple, un Suisse bardé de diplômes est resté chez nous pendant une semaine», affirme Abdallah. Vivre en autosuffisance A l'époque, ils n'avaient pas encore l'électricité. La maison a été raccordée au réseau il y a à peine 4 mois. Quant à l'eau, elle provient de la source. Aujourd'hui, Abdallah ne fait que travailler sa terre, qui le nourrit, lui et sa famille. Leur maisonnette se trouve dans un verger planté d'oliviers, de figuiers, de poiriers et de cerisiers. Il y a aussi des lauriers, des mimosas d'ornement et des noisetiers. Abdallah et Noura élèvent des poules et des coqs, qui sont libres de gratter la terre, au milieu des hortensias, de la mélisse, des géraniums et de la verveine. En cueillant une branche de myrte, Noura en prélève la baie noir bleuté et la goûte. «Elle est mûre et suffisamment sucrée», se réjouit-elle. «Le myrte est indiqué pour soigner les maux de ventre», ajoute Abdallah. Le couple cultive également des légumes, essentiellement des tomates, du poivron, de l'oignon et des fèves. «Le sanglier mange avec nous. Il consomme la moitié de la production», indique Abdallah. La petite propriété se trouve en effet à la lisière de la forêt. La famille n'a pas les moyens de poser un grillage. L'unique source de revenus est la vente du pain rond et plat préparé par Noura. Tous les jours, elle se lève à 4h00 du matin pour mélanger l'eau et la semoule. Pour la cuisson, elle utilise un four en terre qu'elle protège de la pluie avec un carré de tôle. Avec son mari, elle a installé quelques chaises sur la terrasse, où les visiteurs peuvent «casser la croûte» et boire un soda. «Grâce à Dieu, tout va bien», assure Abdallah avec le sourire. Rester malgré tout Brahim tient une boutique de 3 mètres carrés en bordure de route. Faite de briques rouges et de tôle, la cabane, éclairée par une lumière jaune, est toute décorée de faucons, de sangliers, d'ustensiles de cuisine et autres objets en bois. Des bouteilles en plastique remplies d'essences de la forêt sont exposées sur une étagère, d'où pend un bouquet de monnaie-du-pape. Brahim est artisan depuis 22 ans. Son atelier est mitoyen de sa boutique. «Toute la production est stockée à l'étage», indique-t-il. «Je n'ai rien vendu depuis trois mois. Je me sens acculé, je n'ai plus envie de fabriquer quoi que ce soit», confie-t-il. Le quinquagénaire a de plus en plus de mal à subvenir aux besoins de sa famille. Ces deux dernières années, les ventes ont été particulièrement faibles. «Au début de la révolution, les Libyens sont venus se réfugier dans la région. Ça a fait du bien au tourisme, raconte Brahim. Actuellement, les affaires vont très mal». L'homme a eu l'occasion de travailler dans la capitale quand il était plus jeune, mais c'est dans sa ville natale qu'il se sent le mieux. «On se connaît tous ici, ce sont tous des cousins», dit-il. Pour l'heure, quitter ses proches pour trouver un emploi ailleurs est une possibilité qu'il préfère ignorer. Vivre de la montagne Casquette à rabats sur la tête, baskets à semelle épaisse aux pieds, Yahia, grand, mince, avance d'un pas leste dans la montagne. A ceux qui l'accompagnent, il présente volontiers la flore qui pousse dans la rocaille : Erica multiflora (la bruyère à nombreuses fleurs), Cistus... Guide local de randonnée, il a appris seul à identifier les plantes et à connaître leur usage médicinal. «Avec les touristes, j'ai intérêt à répondre à toutes les questions», dit-il. «On me demande toutes sortes d'informations, même la météo!», ajoute-t-il d'un ton amusé. Il est aussi chasseur «de père en fils» et a été l'un des premiers guides de chasse à Aïn Draham. Pour lui, son métier est avant tout une passion : «C'est un loisir qui coule dans mes veines». Père de trois enfants, l'homme, âgé de 67 ans, n'a pourtant pas réussi à leur transmettre ce «vice». En 35 ans de métier, Yahia a su se faire une clientèle fidèle. Mais depuis quelques années, son activité tourne au ralenti. «Le plus triste, c'est qu'il n'y a plus de gens de métier. Certaines agences de voyages font n'importe quoi. Elles ramènent des touristes mais la qualité de service n'est pas du tout au rendez-vous. Les touristes, notamment ceux qui viennent pour la chasse, sont abandonnés à leur sort et se vengent sur notre nature». Pour que vive le tapis de Khmir Nabiha est présidente de l'Association de soutien aux artisanes de Kroumirie depuis 2004. Cette association a pour mission d'améliorer les conditions de vie de la femme rurale à faibles revenus, par la réhabilitation des traditions artisanales ancestrales. «On achète la laine filée à des femmes artisanes de la région pour fabriquer des tapis. La matière première est 100% naturelle. Les couleurs vont du blanc sale au brun sombre», indique Nabiha. Pour ajouter des touches de couleur aux tapis, l'association fait appel à une vieille femme qui maîtrise les techniques de teinture naturelle issue des plantes. «Mlouk habite dans la montagne. Elle est la seule à mener encore cette activité», affirme la présidente. L'association a organisé une formation de six mois pour des jeunes artisanes afin de leur apprendre les techniques de teinture naturelle et sauvegarder par la même occasion ce savoir-faire voué à l'oubli. «Malheureusement, il n'y a rien qui encourage ces filles à pratiquer ce qu'elles ont appris, car il n'y a pas de demande», se désole Nabiha. Quinze tisserandes travaillent les tapis dans les locaux de l'association, les autres ont des métiers à tisser chez elles. «Le tapis de Khmir est particulier. On tisse des tapis de 10.000 ou de 20.000 nœuds au mètre carré. Ils sont épais comme les tapis berbères, mais ils sont mieux finis. Quant aux motifs, ils sont inspirés des tatouages et des bijoux des femmes de Kroumirie». L'association existe depuis 1994. «Elle est inscrite au guide touristique international. Les tapis sont vendus essentiellement à une clientèle étrangère», informe Nabiha. «Ces dernières années, on n'a presque rien vendu. Mais en réalité, ça fait 10 ans qu'on fait de la résistance pour continuer d'exister», dit-elle.