Par Khaled TEBOURBI Des scènes sont montées un peu partout sur la place publique, à Tunis, à Sousse, à Jendouba même : la culture et les arts fêtent le troisième anniversaire de la révolution. Dans le même temps, à Kasserine, Thala, Tataouine, jusque dans la proche banlieue de la capitale, la colère des populations explose contre la hausse des taxes et des prix. Avec, en sus, de la casse et des pillages, et des attaques «en règle» visant les bâtiments sécuritaires. Le contraste peut choquer, mais il dit bien ce qui «germe» dans le pays, trois années après la chute de la dictature. Il dit simplement que les belles promesses du 14 janvier 2011 se sont évanouies, et que la Tunisie révolutionnaire n'a plus le cœur à fêter sa «belle révolution». Les concerts et autres manifestations artistiques qui se concoctent à travers nos rues sonnent terriblement faux. Et les cérémonies officielles qui se tiendront ce mardi ne «résonneront» pas mieux. Des «arbres de parade» qui cachent mal, très mal, l'immense «forêt» des mécontentements et des désillusions. Les désillusions sont patentes, évidentes. Les Tunisiens parlaient d'une même voix au lendemain de l'éviction de Ben Ali : liberté, dignité, démocratie, modernité. Ils sont divisés depuis, entre partisans de la république civile et défenseurs (subitement sortis de leur silence) de l'Etat religieux. La discorde s'étend. Haines, violences, assassinats, attentats. On ne reconnaît plus les siens. Pis: une Assemblée constituante et un gouvernement de transition, dominés par les islamistes, se sont accrochés au pouvoir, trompant leurs électeurs, tellement obsédés par leurs nouveaux postes et leurs nouveaux privilèges qu'ils en ont oublié de s'occuper des problèmes de chômage, de développement, d'égalité et de sécurité. Pire encore: une fois aux commandes, on les a vus remettre en question, en cause, voire, les principes mêmes et les valeurs pour lesquels ils ont été élus: l'alternance démocratique, les libertés de presse et d'opinion, l'indépendance de la justice et de l'administration. Envolé le rêve du 14 janvier 2011, on vient célébrer quoi aujourd'hui? Les mécontentements, eux, étaient attendus. Les Tunisiens savent peut-être s'armer de patience face aux abus de pouvoir et aux dérives autoritaires, mais quand ils sont menacés dans leur pain quotidien, l'histoire récente l'a prouvé, ils n'hésitent pas un instant à crier et à manifester leur rébellion. «L'ex»-ministre des Finances, M. Elyès Fakhfakh, est venu défendre ses chiffres l'autre soir sur «Ettounissia», désignant par là même «les comploteurs» et «les adeptes» de la contre-révolution. On a bien fait de lui faire observer que les chiffres n'ont rien à voir avec les dures réalités du citoyen. Et que les arguments de «l'intox» et du «complot» ne sont que vaines excuses, des faux-fuyants, confrontés aux difficultés concrètes du pays. La vérité, la stricte vérité, est que les Tunisiens sont en train de boire «le calice jusqu'à la lie». On les a bernés de promesses, on a usurpé leurs espoirs, là on les accule, ni plus ni moins, à l'appauvrissement et au dénuement. Ils en ont assez. Point barre. Voilà ce qui «germait», vraiment, dans la Tunisie «révolutionnaire» depuis la chute de la dictature. Tout, sauf l'envie d'y croire encore. Tout, sauf l'envie de célébrer des «anniversaires» de révolution. M. Mehdi Jomaa et son nouveau gouvernement ont bien des soucis à se faire. Ce n'est pas une mince tâche que d'avoir à redonner confiance à une population leurrée et éreintée à ce point.