90% des jeunes Tunisiens réfutent la corruption et 60% se montrent prêts à dénoncer un éventuel cas de corruption L'Organisation tunisienne I Watch vient d'élaborer un sondage d'opinion auprès des jeunes Tunisiens dans le but de cerner leurs perceptions de la corruption dans les concours de la fonction publique. Ce travail s'inscrit dans le cadre d'un projet plus large, visant à clarifier la position des jeunes dans la société et à rendre compte de leurs avis et de leurs aspirations aux décideurs. Il a été réalisé grâce à l'appui de l'organisation Transparence internationale et au financement de l'Agence suisse de coopération et de développement international ainsi que Foreign and commonwealth office. Les résultats de ce sondage d'opinion ont été révélés hier à Tunis, lors d'un point de presse. Ouvrant le débat, Achraf Aouadi, président de l'organisation I Watch, a indiqué que le choix du secteur de la fonction publique s'explique par l'importance dont doit bénéficier ce domaine d'embauche auprès des jeunes. Définir le degré de confiance qu'accordent les jeunes diplômés aux concours de la fonction publique permettrait de repérer les défaillances existantes et de réfléchir sur les éventuelles solutions. Prenant la parole à son tour, Kinda Hattar, coordinatrice chargée de la région du Maghreb auprès de l'organisation Transparence internationale, a rappelé le souci de l'organisation de lutter contre la corruption dans le monde. Focaliser l'intérêt sur la jeunesse tunisienne est significatif à plus d'un titre : c'est cette tranche d'âge qui a déclenché la révolution du 14 janvier, car désireuse de changer les choses pour le mieux. Paradoxalement, c'est bien elle qui s'avère être la plus menacée par le problème de la corruption dans le recrutement. Hattar ne cache pas sa déception du fait que notre pays n'a toujours pas su faire face aux dépassements puisqu'il est resté au même niveau depuis voilà des années. «Nous continuerons, explique l'oratrice, à soutenir la Tunisie dans sa lutte contre la corruption, dans l'espoir de voir ses indicateurs changer pour le mieux. Nous comptons beaucoup sur la médiatisation de ce thème. Le rôle des médias est plus que précieux dans la mesure où ils forment un moyen de pression sur les responsables et savent très bien sensibiliser le public quant à l'impératif de conjuguer les efforts anticorruption». Et d'ajouter qu'il est temps, pour tout citoyen, de dénoncer la corruption, comme il est temps pour les autorités de savoir protéger le dénonciateur. Corruption : grave, étendue et généralisée Dhia Elhak Ammar, membre de I Watch et réalisateur du projet, a présenté les résultats de ce travail. Le sondage d'opinion, qui a touché un échantillon représentatif de 675 jeunes tunisiens des deux genres, âgés de 15 à 35 ans et issus de 14 régions, a permis de donner un aperçu sur la perception des jeunes du degré de transparence et de l'ampleur de la corruption dans les concours et dans le recrutement de la fonction publique. A vrai dire, la jeunesse tunisienne reconnaît le phénomène récalcitrant de la corruption; un phénomène jugé comme grave par 74% des interviewés et inadmissible par 90% d'entres eux. Ces jeunes qualifient même ce phénomène d'«étendu et généralisé». Malgré les aspirations des Tunisiens en une justice sociale post-révolutionnaire, 80 % des interviewés sont persuadés que le phénomène a pris plus d'ampleur après la révolution. Insertion professionnelle : à quel prix ? Des pots-de-vin livrés aux cadres de la fonction publique, en guise d'un pacte, ou encore de gratitude pour avoir déjoué le cours des choses et intervenu pour accorder tel poste à telle personne, cela se fait toujours dans les règles de la manipulation administrative. En effet, 12% des jeunes avouent avoir eu recours à ces pratiques dans l'optique de décrocher un poste d'emploi. Ce qui est encore plus inquiétant, c'est que 38% des jeunes qui se montrent prêts à solliciter l'intervention d'un responsable pour réussir un concours de la fonction publique sont issus de familles modestes, dont le revenu mensuel ne dépasse pas les 500DT. Ce qui reflète l'importance d'une embauche pour un jeune Tunisien modeste, quitte à jouer le tout pour le tout... Par ailleurs, certains dénoncent des attitudes discriminatoires durant les concours de la fonction publique. Ce désordre institutionnel, administratif et moral à la fois, n'aurait pas eu des assises sans l'absence d'une législation et d'un contrôle rigoureux, pénalisant les corrompus, et ce, selon l'avis de 70% des jeunes. 43% des interviewés pointent du doigt le gouvernement qui, selon eux, encourage à la corruption dans les concours de la fonction publique. Ce qui est intéressant, par contre, c'est que 60% des jeunes se montrent prêts à dénoncer d'éventuels cas de corruption. D'un autre côté, le sondage d'opinion a porté sur l'insertion professionnelle des anciens détenus ayant bénéficié de l'amnistie. Les chiffres montrent que 4438 ex-détenus ont été recrutés dans la fonction publique, et ce, «en application du décret-loi n°1 en date de 2011 et relatif à l'amnistie générale ainsi qu'au décret n° 3256 relatif aux modalités de réinsertion professionnelle et à la régularisation de la situation administrative des agents publics bénéficiant de l'amnistie générale». Cette réalité intrigue 67% des jeunes interviewés la jugeant comme une mesure menaçante pour leur avenir puisqu'elle minimise davantage leur chance d'embauche. Recommandations Suite au rapport sur les perceptions d'intégrité auprès des jeunes tunisiens, notamment sur la corruption dans les concours de la fonction publique, l'Organisation I Watch recommande la mise en place d'une stratégie de lutte contre la corruption et la création d'un organisme indépendant qui veillera sur la lutte contre la corruption. L'application de sanctions plus sévères contre les corrompus et la prise de nouvelles mesures susceptibles de garantir la transparence, l'efficacité et l'intégrité de l'administration sont de mise. Le rôle de la société civile est à renforcer dans la mesure où il aura le profil d'un contre-pouvoir à ce fléau. Par ailleurs, il convient de consolider le cadre législatif afin qu'il devienne plus clair et plus performant pour lutter contre les dépassements et la discrimination sous toutes ses formes. I Watch recommande également la publication désormais des résultats des concours avec plus de détails (scores, critères etc.), respectant ainsi le principe de la transparence.