Les partis de la majorité gouvernementale sortante ne se sont guère privés de calculs de boutiquiers. Ils veulent régner encore tout en ne gouvernant pas. Et infléchir le cours des choses tout en n'occupant pas les devants de la scène Les observateurs avertis sont perplexes. L'existence de l'Assemblée constituante au-delà des délais et échéances initialement impartis peut s'avérer particulièrement coûteuse. Les évolutions constatées au cours des derniers jours le font légitimement craindre. Résumons: l'Assemblée constituante était partie, fin 2011, pour une année. Elle devait s'acquitter, comme son nom l'indique, de l'élaboration d'une nouvelle Constitution. C'est la vocation première et unique de toute Assemblée constituante. N'empêche. Elle a mis plus de deux années pour la promulgation de la nouvelle Constitution. Et elle s'est permise le luxe, entre-temps, de s'arroger des prérogatives nouvelles. Dont le contrôle du nouveau gouvernement et l'élaboration de nouvelles lois. Pourtant, elle était supposée se confiner, législativement, dans le seul domaine de l'élaboration de la loi électorale et de ses dérivés. Il faut dire que les partis de la majorité gouvernementale sortante ne se sont guère privés de calculs de boutiquiers. Ils veulent régner encore tout en ne gouvernant pas. Et infléchir le cours des choses tout en n'occupant pas les devants de la scène gouvernementale. On ne le sait que trop. Le gouvernement de M. Mehdi Jomâa est un gouvernement de technocrates, mandaté par la feuille de route pour la sortie de crise. Parmi ses priorités, il y a bien évidemment l'organisation des futures élections. C'est une obligation de résultat. Pour ce faire, son mandat est clair et précis. Il devra auparavant révoquer les centaines de nominations partisanes dans l'administration, notamment régionale, et dissoudre les ligues dites de protection de la révolution (LPR). Or, à bien y voir, son chemin est semé d'embûches. Le chef du gouvernement semble pâtir de pressions et chausse-trappes à diverses échelles. Les nominations de hauts responsables au ministère de l'Intérieur ont donné lieu à de véritables passes d'armes intramuros et extramuros. Le ministre de l'Intérieur semble même en conflit ouvert avec le ministre chargé de la Sécurité. Et l'arrestation d'un dirigeant des LPR a créé un ressentiment non déguisé au sein des partis de la Troïka sortante et de leurs alliés maximalistes de droite. Pas plus tard qu'avant-hier, pas moins de 25 constituants se sont rendus chez le ministre de l'Intérieur. En grande pompe. Ils se sont enquis des différends et se sont même immiscés dans les procédures des poursuites à l'encontre dudit dirigeant des LPR. Et le ministre leur a tout bonnement promis de diligenter les procédures selon leur bon vouloir. En fait, il semble bien que le gouvernement Mehdi Jomâa doive faire face, à brève échéance, à des défis de taille. Tant la dissolution des LPR que la révocation des nominations partisanes seront âpres. La bataille sera rude. Ce ne sera guère une promenade de santé. Du coup, apparaît sous nos cieux le spectre effrayant de la dictature d'assemblée. Celle-ci a été, historiquement, la plus cruelle. L'histoire des démocraties naissantes un peu partout dans le monde, notamment en France, en atteste. En rabâchant à n'en plus finir que l'Assemblée constituante est la maîtresse de sa propre destinée, on cultive la logique du tout est permis. En somme, c'est un pouvoir sans aucun contrôle, contre-pouvoir ou contrepoids. Mehdi Jomâa est prévenu. Le Quartet du Dialogue national aussi. Ils ont d'ailleurs été épinglés par des constituants parmi ceux qui s'étaient rendus en mission intempestive de contrôle du ministre de l'Intérieur. Il incombe de remettre de l'ordre dans l'équilibre des institutions provisoires. Le président de l'Assemblée constituante devrait s'y atteler en étroite collaboration avec le chef du gouvernement. Il est vrai aussi que bien des responsables semblent davantage obsédés par les échéances électorales futures. La campagne électorale a déjà commencé pour eux. Même si, paradoxalement, on n'a pas encore de loi électorale et que l'on ne sache strictement rien des futures élections, de leurs modalités, leurs échéances, etc. Le provisoire s'avise de durer. En dépit des stipulations expresses de la feuille de route. Jusqu'ici, les «protagonistes d'en face» observent, silencieux. Mais le bras de fer et les ripostes peuvent faire irruption à n'importe quel moment. La démocratie, certes, n'a pas de prix, mais elle a un coût. Et l'attrait du pouvoir est toujours ravageur.