Par Abdelhamid Gmati Pendant des décennies, le peuple tunisien était privé de parole et ne pouvait prendre part aux décisions définissant sa vie au quotidien. Absence de débats et de contre-propositions. Certes, certains ont osé se constituer en partis d'opposition mais ils étaient marginalisés et empêchés de travailler normalement. Vint la Révolution qui éveilla tous les espoirs de voir se concrétiser des rêves de liberté, d'émancipation et de participation. On attendait des partis déjà existants des propositions, des programmes acceptables par tous et susceptibles de résoudre les problèmes du pays. On a eu droit à une pléthore de partis nouvellement constitués, mais point de programmes sérieux ni de propositions. Juste l'euphorie de plusieurs ego, chacun s'estimant porteur de vérités. En guise de débats, on nous a offert des spectacles indignes, d'insultes, d'accusations, de menaces, et même de crêpage de chignons dignes de charretiers, chacun dénigrant l'autre. Point d'idées, ni de solutions. Tous ne sont préoccupés que, par le pouvoir et tous ne se soucient que des prochaines élections dont la date n'est pas encore fixée. Tous les jours, on enregistre de nouveaux candidats, principalement pour la présidentielle. A part trois ou quatre partis que les divers sondages dotent de quelque représentativité, les autres ne sont que des groupuscules dont les réunions n'attirent que quelques dizaines de personnes. On se demande même comment certains de ces partis ont pu obtenir leur visa, comme ceux qui ne reconnaissent ni l'Etat tunisien, ni la démocratie, ni les élections et qui rêvent d'établir un nébuleux califat ou cet autre qui ne compte qu'un seul adhérent. Tous se prévalent de la Tunisie et de l'intérêt suprême de la Nation. Mais tous n'agissent qu'en fonction de leurs intérêts personnels et partisans. Et cela se banalise. On a voulu une Assemblée constituante chargée de rédiger une Constitution en une année. On a eu une ANC qui s'est érigée en Parlement et qui a perdu sa légitimité en mettant deux années pour accomplir ce pour quoi elle a été élue. Pour excuser ce retard, une députée nahdhaouie a avancé l'argument que toutes les constitutions dans le monde n'ont été rédigées qu'après plus de deux années. Rappelons-lui que les députés de la Convention française (au lendemain de la Révolution) se sont réunis pour la première fois le 21 septembre 1792 et ont proclamé la Constitution le 24 juin 1793 (donc neuf mois). Les députés de cette ANC piétinent encore pour adopter la loi électorale sans laquelle il ne saurait y avoir des élections. 473 amendements ont été déposés pour le premier projet qui comporte des dispositions d'exclusion et d'accompagnement des analphabètes aux urnes contraires à la Constitution et portant atteinte à la crédibilité des élections. Dans ces conditions, la loi électorale ne pourra pas être adoptée à temps, ce qui entraînera un retard pour le scrutin au-delà de 2014, ce qui contrevient à la Constitution. On a donc des députés illégitimes qui ne respectent pas la Loi fondamentale qu'ils ont eux-mêmes adoptée. Pourtant, personne ne s'en offusque et la transgression des lois se trouve banalisée. On revendiquait la sécurité et on a eu droit à des actes terroristes. Il se trouve des personnes qui trouvent des circonstances atténuantes aux terroristes et qui estiment que quelqu'un qui a tué des personnalités politiques, des soldats, des agents de l'ordre n'est pas un terroriste. Tous les jours, les agents de l'ordre, sur le qui-vive, arrêtent des criminels, des terroristes, des membres de groupements violents interdits. Et cela se passe dans l'indifférence générale. Le terrorisme et le banditisme se trouvent banalisés. Dans le même ordre d'idées, des personnalités reçoivent des menaces de mort, des imams appellent au meurtre et à la violence, des journalistes sont agressés : tout cela est devenu habituel et banal. On s'en est même pris au président provisoire de la République, au président de l'ANC, à des ministres, à des personnalités politiques, sans aucune conséquence notoire. Dernièrement, la ministre du Tourisme a fait l'objet de toute une cabale d'insultes et de menaces. Et ce, rien que parce qu'elle bouge et fait son travail. Sans conséquence. On peut ne pas être d'accord avec un parti et ne pas aimer une personnalité, mais cela doit se faire dans le respect. Tout ce comportement que l'on trouve chez nombre de politiques dénote une médiocratie galopante. La dégradation des valeurs ne peut mener à la démocratie mais menace l'Etat dans ses fondements. Va-t-on encore longtemps laisser faire les médiocres et banaliser la médiocrité ?