Par Moncef Kamoun* L'objectif du programme spécifique au logement social est la construction de 30 mille logements. Il s'articule autour de deux composantes : une première relative à la démolition des logements rudimentaires (10.000) et leur remplacement par de nouveaux logements sociaux ou leur extension et la deuxième composante vise à construire 20.000 logements au profit des catégories sociales à faibles revenus. En septembre 2012, un appel d'offres international pour la réalisation de 12 mille logements sociaux clés en main, a été lancé, c'est une première tranche du programme. Cette tranche comprend 4 parties, 3.300 logements programmés dans les gouvernorats de Tunis, de l'Ariana, Ben Arous et la Manouba, 3.800 logements dans les gouvernorats de Sousse, Zaghouan, Bizerte, Nabeul Monastir et Mahdia, 2.400 logements dans les gouvernorats de Kairouan, Béja, Jendouba, Le Kef, Siliana, Kasserine et Sidi Bouzid et enfin 2.300 autres logements seront réalisés dans les gouvernorats de Sfax, GabèsMédenine, Tataouine, Gafsa, Tozeur et Kébili. Echec économique Faire appel au marché international pour la construction de logements sociaux en Tunisie est à notre avis une aberration et une démarche pas du tout responsable. La Tunisie, qui se doit de mettre en valeur sa première ressource « la matière grise », devrait aujourd'hui en tirer profit. Depuis plus de 40 ans que notre pays forme des architectes et des ingénieurs, voilà une occasion pour permettre à ces hommes du métier de renvoyer l'ascenseur à leur pays. Des études ont été élaborées à l'Ecole d'architecture et dans nos écoles d'ingénieurs afin de développer une recherche sur le logement à moindre coût. Des organes de recherche en matière d'habitat existent depuis plusieurs années dans nos universités, encore faut-il en tirer les conséquences pour l'organisation et le développement de cette discipline. « Apprendre pour entreprendre et innover », telle devrait être la devise de notre politique universitaire L'habitat a toujours été considéré dans nos universités, de par son importance dans la société, comme une matière de recherche à part entière. La réduction du coût et des délais et l'amélioration de la qualité de la construction tout en utilisant nos matériaux locaux ont toujours été des axes prioritaires de recherche. Importer alors des techniques et des matériaux nouveaux qui ne sont pas disponibles sur le marché local ne peut en aucun cas être à bon marché et ceci sans parler des problèmes inhérents à leur adaptabilité et leur entretien. Les systèmes constructifs adoptés dans le cadre de ce projet sont des produits non seulement importés mais il paraît même que c'est réservé dans ces pays d'origine aux bâtiments industriels. Voilà pourquoi ce ne sont pas les raisons économiques qui ont poussé les décideurs provisoires à opter pour ces systèmes. De plus, utiliser du préfabriqué à un moment où le pays connaît un taux de chômage élevé et des problèmes de développement économiques nous paraît irresponsable alors que ce programme était réellement une opportunité pour absorber une bonne partie de ces chômeurs avec la création de plus de 70 mille emplois directs et indirects L'échec économique, c'est encore le coût très élevé de la construction mais tout le monde le sait aujourd'hui : ce sont des subventions ou des crédits gratuits qui permettent de financer ces logements, c'est à dire que c'est le contribuable qui paie. Echec social C'est un échec économique certes mais à mon sens, l'échec le plus flagrant est social. Ce programme de logements sociaux n'a fait l'objet d'aucune étude sérieuse et globale que ce soit au point de vue social, urbanistique, environnemental ou même financier. En effet, rien n'a été élaboré ou presque, aucune analyse des souches populaires ciblées pour ces opérations, aucune étude des contextes et des enjeux stratégiques pour aboutir à une démarche cohérente afin de mettre en relation un tel projet ambitieux avec son environnement aussi bien physique qu'humain. Une adéquation avec la question de l'urbanité, du rapport au contexte et de l'adaptabilité des solutions préconisées avec les besoins et les aspirations des populations concernées pour ce genre de programme est indispensable. En réalité, il faudrait analyser toutes les donnés de base necessaries, à savoir l'environnement, le climat, l'histoire, la sociologie, la construction et faire la confrontation dans un travail commun de tous ces points de vue et ce n'est que par cette confrontation que peut découler une théorie cohérente de notre espace et une réglementation spécifique et adaptée. Ce travail doit être effectué par un généraliste, un homme de synthèse donc d'analyse, un interprète et spécialiste du métier bref par les architectes et les urbanistes qui n'ont pas cessé, à l'occasion, par le biais de leur conseil, de mettre leurs services à la disposition de ce programme tant attendu mais hélas ils ont été tous mis à l'écart. A quoi sert alors ce programme ? Le programme de logements sociaux est alors un échec économique, un échec social, mais par son lancement on cherchait un « succès politique», c'est un instrument de collectivisation de la société. D'ailleurs, lors de sa soumission à l'ANC, le programme de logements sociaux n'est pas passé inaperçu, plusieurs élus ayant relevé le manque de transparence et de précision dans les textes proposés et plusieurs, également, ayant constaté que l'on a laissé à l'appréciation du ministre de publier ultérieurement les décrets-lois qu'il juge nécessaires pour fixer les détails relatifs aux bénéficiaires de ces logements sociaux et aux conditions d'attribution. On a même remarqué à l'ANC qu'il y a un risque pour que les listes des bénéficiaires établies par le «omda» ou le délégué, se fassent sur la base de la loyauté à un parti. Un député est même allé jusqu'à dire qu'il n'a nullement confiance en ces délégués et gouverneurs nommés par le gouvernement de la Troïka. Le risque est réel pour que l'on promette un logement à certains citoyens et gagner en retour leur loyauté et leur engagement à un parti et l'enjeu est de taille, puisqu'il s'agit de 30.000 logements où l'Etat participera avec 100 millions de dinars. « La Tunisie a besoin d'une politique de logement social et non d'un programme de logement social » Disait monsieur Hedi Larbi, nouveau ministre de l'Equipement, de l'Aménagement du territoire et du Développement durable En effet, Monsieur le ministre le programme de logements sociaux tel qu'il est élaboré ne peut et ne pourra jamais être la réponse à la crise du logement. Ce qu'il faut, c'est prendre les mesures et réformes nécessaires sur le cadre juridique de la politique de l'habitat et ne laisser rien au hasard afin de ne plus permettre d'utiliser ce secteur pour un autre objectif en dehors du « droit au logement décent » *(Architecte)