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L'épreuve du pouvoir
Opinions
Publié dans La Presse de Tunisie le 19 - 06 - 2014


Par Hédi Ben Abbes
Pour qu'il y ait la justice, il faut défaire le droit, disait Jacques Derrida dans un souci de remise en cause permanente et de vigilance extrême contre l'épreuve du temps et contre le conformisme rampant. Cette remise en question nécessite un certain nombre de conditions sans lesquelles elle ne peut aboutir à un résultat probant. Parmi ces conditions, il y a tout d'abord le doute qui est synonyme d'humilité, vient par la suite la relativisation, la proportionnalité, et la discipline dans la méthodologie. Ces conditions s'appliquent aussi bien dans la sphère privée que dans la sphère publique, les deux étant intrinsèquement liées.
L'humain est quotidiennement confronté à des choix qui sont autant d'épreuves qui incitent à la réflexion et donc à la remise en question de certaines « vérités ». De là découlent deux attitudes : celle qui consiste à recourir à des références stables, voire figées, relevant soit du sacré soit de la sagesse populaire et ainsi on externalise la réflexion et par conséquent on se déresponsabilise, soit alors on intériorise la réflexion au point de tout remettre en question et c'est justement de ce chaos intérieur que peuvent jaillir parfois des éclats de génie qui éclairent le monde et font pousser les frontières du possible un peu plus loin.
Cette discipline de l'indiscipline et de la déconstruction vise un idéal tel la justice par exemple, donnant un sens à l'action de l'Homme qui, par la cohabitation dans la même enveloppe humaine de tant de contradictions et de courants contraires, assume la posture de celui qui ne trouve de sens à son existence que dans le service d'un idéal.
Sans idéal, c'est le piège du quotidien qui se referme sur une conscience qui se meurt sous les coups de boutoir du conformisme. Quand la subsomption gagne du terrain, c'est une part de notre humanité qui disparaît et ainsi au lieu d'une expansion de soi on assiste à une réduction, c'est alors que l'action de l'homme passe de la déconstruction à la calcification, du métamorphique au fossilisé, du fluide au solide. L'idéal ne peut être atteint qu'à partir du moment où on est prêt à se surpasser, disposé à en payer le prix, prêt à subir les foudres des gardiens de la morale, des conservateurs et des nostalgiques. On peut aisément comprendre tous ceux qui ne peuvent souffrir de tels assauts et préfèrent la quiétude et le confort du conformisme aux chamboulements et aux remises en question. Mais nous savons aussi que la petite île nommée Niijima, qui a jailli des entrailles de la mer au large du Japon, n'aurait pas pu exister s'il n'y avait pas eu au préalable sous les profondeurs abyssales de la mer des énergies contraires en ébullition et des plaques tectoniques qui se télescopaient. Ce qui est valable pour la géologie l'est aussi pour la conscience humaine. Cette conscience qui se nourrit des télescopages des idées et du mouvement permanent ne peut être domptée et réduite au silence mortifère que par l'acceptation du statu quo soit de manière volontaire, donc intéressée, soit de manière servile et dans les deux cas c'est l'homme qui abdique sa souveraineté.
La poursuite de l'idéal fixe la mesure de l'humanité de l'homme et son engagement dans la recherche de l'intérêt général à travers au renoncement au confort du conformisme et aux avantages mercantiles de la servilité. Renoncer à l'idéal équivaut alors au renoncement à sa souveraineté, voire à son humanité par la réduction de son être au plus petit des dénominateurs.
L'un des terrains sur lesquels se joue cette partie de notre humanité est celui du pouvoir en général et le pouvoir politique en particulier.
Tant d'hommes et de femmes bernés par l'ivresse ou l'illusion du pouvoir se trouvent sur le chemin inverse de l'idéal qu'ils étaient censés poursuivre du temps où l'épreuve du pouvoir n'était qu'une hypothèse théorique. Faire le chemin dans le sens contraire, de celui en direction de la lune pour finir dans le caniveau est le propre des esprits faibles, ceux qui ne revendiquent leur souveraineté que pour mieux camoufler leur servitude, ceux qui bombent le torse pour mieux dissimuler leur vacuité intérieure. Qu'est-ce qui se dresse entre un homme et son idéal et entrave sa marche vers les hauteurs pour qu'il finisse un jour dans le caniveau ? Comment un homme ou une femme qui se drape de valeurs humanistes, qui prétend défendre la veuve et l'orphelin, qui revendique une grandeur d'âme ayant dans le viseur un idéal aussi grand que le paradigme Humain peut-il/elle se réduire, se résorber au point de disparaître et devenir translucide et perdre toute sa substance ? Une des possibles réponses tient en un seul mot : Pouvoir. Pouvoir. Pouvoir.
Tout comme la peur, le pouvoir est un absolu. Soit vous le dominez soit il vous domine jusqu'aux tréfonds de votre être et vous réduit à l'état d'esclave. Avec le pouvoir il n'y pas de compromis possible. Dans le même esprit humain, le pouvoir et l'idéal ne peuvent en aucun cas cohabiter pacifiquement. Une bataille fait rage aussitôt que l'homme porteur d'idéal est investi d'un quelconque pouvoir. Peut-on rester imperméable aux assauts du pouvoir, à sa séduction, à son ivresse, à ses privilèges, à son confort et son attractivité ? Doit-on neutraliser le pouvoir au point de l'annihiler ? Ou alors est-il possible de dompter le pouvoir et l'assujettir au service de l'idéal ?
S'il est très difficile de résister au pouvoir et à sa séduction, il est bien plus difficile de l'annihiler. La dénégation du pouvoir est même dangereuse car l'anarchie est l'enfant illégitime du pouvoir, il ne peut trouver une légitimité qu'après la disparition du « père ».
Les esprits faibles cèdent aux sirènes hypnotiques du pouvoir. Elles draguent les esprits faibles vers les abysses, dans les profondeurs ténébreuses de leur conscience aveuglée. Les sirènes et leurs chants séduisent ceux qui ne veulent entendre que la douce mélodie qui emplit leurs âmes abîmées, d'endomorphine euphorisante. Ainsi les esprits faibles se complaisent dans leurs illusions, s'accommodent de leur nouvelle posture tournant le dos à l'idéal qu'ils avaient prétendument défendu. Pire encore, pour mieux s'arranger avec le peu de conscience qui leur reste, les esprits faibles utilisent le peu de prérogatives que le pouvoir leur laisse pour éloigner tous ceux qui d'une manière ou d'une autre risquent de rappeler à leur bon souvenir l'existence de l'idéal, que ce dernier n'est pas mort, qu'il est tout juste éclipsé par un écran de fumée appelé pouvoir. Le pire ennemi des esprits faibles devient alors le miroir, cet instrument qui leur renvoie le reflet de la face sombre de leur conscience.
Une fois le processus de leur transformation terminé, une fois accommodé aux profondeurs abyssales dans lesquelles le pouvoir les a entraînés, les esprits faibles continuent à s'enfoncer tant ils mesurent le chemin devenu incommensurable qui les sépare de l'idéal qu'ils avaient définitivement perdu. Pis encore, devenus esclaves du pouvoir, les esprits faibles deviennent alors l'instrument au service du pouvoir pour le pouvoir. Le pouvoir triomphe ainsi de l'homme faible dont l'objectif devient alors non seulement de s'éloigner de l'idéal mais de le combattre. Une fois le processus terminé, le pouvoir triomphant assujettit l'homme faible qui se transforme en machine au service des diktats du pouvoir, cela s'appelle la dictature.
On pourrait croire que la dictature est l'étape ultime du processus d'assujettissement de la volonté de l'homme aux diktats du pouvoir. Cette transformation de l'homme consacre certes le triomphe du pouvoir sur les esprits faibles, mais ne procure pas de jubilation. La jubilation provient du triomphe non pas du pouvoir sur l'homme faible, mais de celui de l'illusion du pouvoir.
Il y a des transformations encore plus dégradantes pour l'homme. Si l'homme faible instrument au service du pouvoir, est un esclave, cette posture certes humiliante, procure à l'homme faible la satisfaction de l'esclave, celle du devoir accompli, celle de la dialectique du maître et de l'esclave et de leur interdépendance. Mais le pire, le summum de la servilité, là où il n'y a plus de limites à l'abjection, là où règne l'indécence c'est quand l'homme faible non content d'être esclave, devient incapable de voir qu'il n'est même pas au service du pouvoir mais de son illusion, d'une chimère, d'un mirage sous les formes séductrices du pouvoir, toujours fuyant et insaisissable. Telle est la véritable jubilation du pouvoir, quand bien même son ombre finit par obscurcir la vue de l'homme faible et le réduire à la servitude. Tapi dans l'ombre, l'homme faible se satisfait d'un pouvoir sans puissance.
Chez l'homme faible, le pouvoir est un palliatif de toutes les carences, de toutes les béances, de toutes les blessures qu'il porte. Il s'y accroche par peur que ses blessures ne s'ouvrent à nouveau et ne deviennent purulentes. Satisfait d'être un instrument au service de l'illusion du pouvoir, l'homme faible aspire à prendre sa revanche en accédant au palier supérieur, celui du vrai pouvoir, non pas pour se réaliser ou pour servir l'idéal, mais pour régler des comptes personnels, pour accéder à la puissance qui lui fait défaut. Si l'homme faible est servi par un concours de circonstances favorables, il peut aspirer au statut de dictateur conjuguant pouvoir et puissance. Dans les deux cas, l'homme faible est définitivement engagé dans une bataille contre l'idéal, il est désormais autosuffisant coincé entre deux négativités.
Pour les esprits forts, ceux qui ne perdent jamais de vue leur idéal, ils sont de facto engagés dans une bataille sans merci pour assujettir le pouvoir à leur volonté de puissance au service de l'idéal et donc de l'intérêt général. Rares sont ceux qui recèlent en eux les ressources nécessaires pour maintenir le cap en chevauchant le pouvoir pour mieux accélérer l'envolée vers l'idéal. Rares sont les esprits forts tournés vers l'extérieur, mus par un altruisme à toute épreuve. Pour eux la puissance n'est pas structurelle, elle est intérieure, elle provient de cette volonté de garder les yeux ouverts, de déjouer toutes les manœuvres de diversion, de rester indifférent aux jeux de séduction du pouvoir. Ils triomphent du pouvoir par l'imperméabilité, par l'abnégation, par la probité, par la quête d'une grandeur qui ne peut être réalisée qu'à travers le partage. Le pouvoir est alors défait, perd sa concentration, devient diffus. C'est ce que certains appellent la démocratie qui n'est rien d'autre que déconcentration, éparpillement et partage du pouvoir.
Telle est la différence entre esprit fort et esprit faible, entre servir et se servir, entre la lune et le caniveau, entre l'idéal auquel les grands aspirent et les abysses où gisent les petits, entre les hauteurs des sommets et les gouffres comme dirait Abou Al Kacem Echebbi.
(Ancien secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères,ancien premier conseiller diplomatique auprès du président de la République et commandeur de la Légion d'honneur)


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