Par Dr Rejeb HAJI «Les impôts sont les cotisations que nous payons pour jouir des privilèges de la participation à une société organisée» (F. Roosevelt 1936) Début juillet, deux ministres se sont relayés devant les journalistes pour présenter la loi de finances complémentaire 2014, un sujet ardu et difficile à aborder. En réalité, c'est un nouveau budget rectificatif «sans références» pour l'année 2014. En effet, il est imaginé comme une continuité du précédent que nous avons appelé «orphelin». Pas d'horizons fixés, ni de perspectives en vue dans lequel il s'inscrit dans le temps. C'est le résultat, nous affirme-t-on «d'un comité de pilotage» du «dialogue économique national» alors que l'Ugtt vient tout juste de l'adopter en contestant certaines propositions, il en est de même pour l'Utica. Il aurait fallu détailler les principaux auteurs pour être plus crédible. Quel comité de pilotage ? De quel dialogue économique national s'agit-il ? Pour ne pas trop se mouiller, on se moule dans la même configuration que les précédentes gouvernances. On camoufle savamment les échecs des prédécesseurs et on dissimule les vraies raisons des nouveaux choix. Cette loi n'est-elle pas au fait la traduction des accords, signés en catimini, avec les institutions financières, d'un nouveau Programme d'ajustement structurel (PAS)? Les experts du FMI étaient nos hôtes, ces derniers temps. Ils sont venus vérifier les réformes promises par le gouvernement, afin de préparer leur rapport pour leur assemblée du 27 juillet. C'est à l'issue de ce rapport que la cinquième tranche du prêt qui nous a été accordé serait libérée. Ils sont retournés, nous dit le ministre de l'Economie et des Finances, satisfaits du programme gouvernemental. Il est utile pour les non-initiés en économie de rappeler la signification du PAS et de ses exigences. Les citoyens ont eu à payer le prix d'un autre, durant les décennies précédentes et ils en ont subi les néfastes conséquences. Il s'agit pour nous surtout de mettre toute notre expérience pour que le PAS soit accessible, même aux non-initiés. L'objectif visé est de définir, un tant soit peu, ses composantes et rendre ainsi sa compréhension moins lugubre qu'elle ne paraît. Partant de cette logique et s'adressant à différents lecteurs, il est utile de s'intéresser aux fondements théoriques adjacents qui ont permis de rédiger, voire élaborer cette loi de finances complémentaire 2014. Nous continuons aussi à proposer une autre méthode de gouvernance des cabinets ministériels. Un nouveau programme d'ajustement structurel ! Les auteurs de cette nouvelle loi de finances n'ont pas révélé leurs références. Pourtant, elle concrétise dans sa continuité la suite d'un ancien programme d'ajustement structurel, renouvelé par notre gouvernement de technocrates issus du consentement de coalitions politiques hétéroclites. Ces gouvernants venus pour sauver le pays et résoudre sa crise, alors qu'il aurait fallu dénicher les hommes de terrain. Des élites bardées de diplômes ont été ignorées, alors qu'elles ont comme avantage d'avoir construit le pays et d'être au fait de la gestion de son administration. Pourquoi ce programme ? Quel est son objectif ? Quelles sont ses composantes ? De tout temps, le laxisme monétaire et le recours systématique à l'endettement ont conduit à des situations macroéconomiques catastrophiques, c'est le cas de notre pays. A partir de l'année 1987, un pouvoir dictatorial et abject s'est emparé du pays pour le soumettre à une mafia de trafiquants et de spéculateurs de tout venant. Son économie s'est dégradée, à travers le temps. Outre l'accentuation du seuil de pauvreté, le pouvoir d'achat de la classe moyenne s'est dégradé. Le recours à l'endettement devenant pour les gouvernants d'alors une nécessité. Or, dans les années 1980, la dette de certains pays a connu son apogée. Des pays surendettés devenant insolvables et par conséquent au bord de la faillite. A cette époque, avec l'appui des autres institutions financières, le Fonds monétaire international leur a proposé un Programme d'ajustement structurel (PAS). De quoi s'agit-il en fait ? C'est un programme composé de deux volets. Le premier consiste à prendre des mesures conjoncturelles, c'est-à-dire des mesures de stabilisation. Le budget de l'Etat joue traditionnellement ce rôle. En période de récession, la chute des recettes fiscales a pour conséquence la détérioration du déficit d'où l'obligation du maintien des dépenses afin de stabiliser la conjoncture. On a recours alors à une politique budgétaire et monétaire restrictive pour comprimer la demande intérieure et rétablir les «grands équilibres» macroéconomiques qui consistent à maîtriser l'inflation, les finances publiques et l'équilibre extérieur mais également à réduire les besoins d'emprunt, à stabiliser les taux de change et à dégager des excédents pour rembourser les dettes. Le deuxième volet concomitant est un ensemble de mesures structurelles, à savoir privatiser, promouvoir la concurrence, faire reculer la sphère publique, ouvrir et libéraliser l'économie. Dans une stratégie anticrise, comment sauver ces grands équilibres ? La loi de finances du budget 2014 n'est pas un signal de démarrage d'une nouvelle politique: les dépenses de l'Etat semblent ne pas être réexaminées en fonction des priorités retenues; une faible économie aussi bien au niveau du titre I que du titre II est projetée; le budget de fonctionnement des différents 27 ministères qui restent pléthoriques est un gouffre de dépenses. Les cabinets demeurent pléthoriques; un étalement des dépenses publiques sur l'ensemble de l'année ou ce qu'il en reste n'a pas été programmé; l'idée de créer un «fonds de régulation budgétaire» qui permettrait d'ajuster la dépense publique à la conjoncture n'a pas été retenue. Tout en ménageant les catégories les plus faibles de tout effort, l'apparition de nouvelles taxes ne sont pas de bon augure. S'il est acceptable — et nous l'avons réclamé — d'augmenter le budget des ministères de la Défense et celui de l'Intérieur, par contre ceux de la présidence, du gouvernement et de l'ANC devraient être réduits en période de crise, voire de récession. Alors qu'on demande aux citoyens plus de sacrifices et plus d'efforts, certaines nouvelles taxes introduites dans la loi s'inscrivent dans le dérisoire et ne sont d'aucun secours. A titre d'exemple, ce timbre fiscal sur le contrat de mariage pourrait rapporter un million de dinars ! L'introduction d'une cotisation obligatoire en fonction du revenu ne fera qu'amputer la consommation et par la suite amplifier la dégradation du pouvoir d'achat de la classe moyenne. La loi de finances complémentaire introduit une nouvelle pression fiscale qui mettra à mal les salariés qui seraient soumis ainsi à un niveau de contribution élevé sans commune mesure avec celui des autres catégories : banques, assurances, sociétés de télécommunications... S'il faut serrer la ceinture, l'exemple doit venir d'en haut par une transparence dans les émoluments et les dépenses. Toutes ces questions et d'autres ne figurent pas dans la politique esquissée par le ministre de l'Economie et des Finances, dans un article publié dans une revue tunisienne datée du 2/7/2014. Sa «politique de redressement» traduite par cette loi de finances répond plutôt aux conditions du programme d'ajustement structurel. Il est vrai que le terme «redressement» signifie dans le dictionnaire «restauration de l'économie et des finances d'un pays» et le verbe «restaurer» signifie «remettre en son premier état». Quel beau programme : revenir à l'économie d'avant la révolution, bonjour les dégâts ! Il aurait mieux valu appeler un chat un chat et la loi de finances complémentaire comme un volet d'une politique de rigueur ou d'austérité. Les deux termes évoquent d'ailleurs tous deux la sévérité et la dureté. La distinction entre eux n'existe pas chez les économistes. A telle enseigne que leur différence est celle «qu'il y a entre un chameau et un dromadaire quand on s'apprête à traverser le désert !». La politique est un métier, être ministre réclame du savoir-faire ! Peu d'initiatives du gouvernement pour rationaliser les dépenses servies à des effectifs superflus, à des postes de conseil, de chargés de mission, ou des dépenses de fonctionnement qui ne cessent de progresser. Il aurait fallu gouverner autrement. Il fallait tirer les leçons de l'expérience précédente et mesurer les dégâts causés par les porte-parole. Les ministres doivent être au-devant de la scène pour expliquer et convaincre et non se réfugier derrière des fusibles ! Pourquoi le pays s'enfonce-t-il dans la nasse ? La réponse est simple : parce qu'il est incapable de se réformer. Dans les ministères, deux autorités s'affrontent sans merci pour avoir la prééminence du pouvoir. D'un côté l'autorité politique, le ministre et son armada de chargés de mission et de l'autre l'administration avec ses pontes. Un combat larvé et peu perceptible pour ceux qui n'ont pas d'expérience. Le cocotier, si on ne prend pas garde, ne va pas être secoué de sitôt. La politique est un métier, être ministre réclame du savoir-faire. Ailleurs dans les pays développés, les cabinets ministériels sont composés de deux parties distinctes : l'une technique dirigée par un directeur de cabinet et composée de conseillers techniques spécialisés par sujet, venant systématiquement de l'administration, l'autre politique, dirigée par un chef de cabinet et composée d'un conseiller en communication, d'un conseiller en charge des relations avec le parlement et d'une secrétaire particulière. Au côté du ministre des conseillers politiques, des hommes de l'ombre désignés sous le vocable de «spin doctors» plus prompts le plus souvent à servir leurs intérêts et leur réputation que celle de leur patron. Les efforts de communication que déploient les responsables politiques pour tenter de minimiser les vrais «maux» de notre société ont quelque chose de pathétique. Les élections sont leur principale préoccupation où d'illustres prétendants à la magistrature suprême oublient le marasme économique, politique et social. La crise persistante a atteint le moral même des plus optimistes, les investisseurs comme les consommateurs et la croissance vont en subir les effets dévastateurs. Un autre signal révélateur, le peu d'engouement enregistré à répondre à l'appel de l'Isie que nous espérons transitoire ! C'est un cri d'alarme dont il faut se méfier !