Pour sauver le cheptel au Maroc, Hassan II avait émis une fatwa qui demeure pour les gens sensés une référence. Elle stipulait cinq années de non sacrifice de moutons. En Tunisie, où le cheptel ovin a subi d'énormes pertes, nous avons besoin d'un tel courage de la part de nos religieux pour préserver cette richesse. Un million de moutons sacrifiés en une journée. En termes d'argent, cela équivaut à 500 milliards ! En sa qualité de commandeur des croyants, feu Hassan II avait, dans les années 1990, réuni les érudits religieux de son royaume pour élaborer une fatwa autorisant les Marocains à ne pas sacrifier de moutons à l'occasion de l'Aïd pendant cinq ans. L'objectif visé était de reconstituer le cheptel ovin en grande partie décimé par une sécheresse qui avait sévi pendant de longues années. Une fatwa qui fut suivie avec conviction par les Marocains qui ont saisi sa portée à sa juste valeur dans la mesure où il y allait de l'intérêt du pays, d'autant plus que le sacrifice du mouton n'est qu'une tradition et non une obligation religieuse qu'on doit strictement observer. Nous évoquons ce fait pour tenter de faire le parallèle chez nous où le renchérissement des prix des viandes rouges et notamment ovines a atteint des niveaux jamais égalés par le passé. Notre cheptel a, au cours des trois dernières années, subi de grandes pertes pour plusieurs raisons : beaucoup de fermes furent saccagées, plus d'un éleveur fut délesté de son troupeau par des voleurs de bétail qui opéraient dans l'impunité presque totale, la contrebande à travers nos frontières, notamment au Sud-Est, a prospéré. Des dizaines de milliers de têtes ovines ont pris le chemin de la Libye... Aujourd'hui, la demande dépasse de loin l'offre, ce qui explique cette montée en flèche du coût de la viande ovine et des moutons destinés au sacrifice de l'Aïd. L'hémorragie dans le cheptel est sans précédent, et il est quasiment impossible qu'on puisse le reconstituer même sur une dizaine d'années, en dépit de l'importation de dizaines de milliers de têtes à l'occasion de l'Aïd, mais aussi du mois de Ramadan. Hémorragie sans précédent ! Hémorragie dans le cheptel, mais aussi en devises fortes qu'on aurait certainement destinées à des investissements générateurs de richesses. Par ailleurs, en raison de l'absence de contrôle dans les abattoires et la complicité de beaucoup de vétérinaires, les agnelles, futures brebis génétrices, constituent depuis trois ans le gros des étals des bouchers. Pourtant, il y a une loi qui n'autorise la vente de la viande de l'antenaise que pendant trois mois (avril, mai et juin). La situation est de nos jours plus que préoccupante et risque d'empirer si des mesures rigoureuses ne sont pas prises pour sauver l'espèce. Parallèlement à ces mesures, une sorte de prise de conscience chez le citoyen est on ne peut plus souhaitée afin qu'il comprenne qu'on devra un tant soit peu moraliser notre consommation de viande ovine. Bon an mal an, on égorge à l'occasion de l'Aïd environ un million de moutons ! Les prix à cette occasion deviennent prohibitifs et pourtant, on achète et souvent on s'endette pour avoir son mouton de l'Aïd, ce qui est tout à fait contraire aux préceptes de la religion. Et c'est là où les érudits et les cheikhs, ceux du moins éclairés, doivent intervenir pour expliquer le sens du sacrifice d'une part et pour aussi — si la conjoncture l'exige — user de leur aura et leur savoir pour émettre une fatwa autorisant les croyants à ne pas sacrifier de mouton pour une période donnée, s'inspirant en cela de l'exemple de feu Hassan II qui a rendu un grand service à son pays où aujourd'hui la viande ovine est la moins chère dans tous les pays d'Afrique du Nord. Une année ou deux sans sacrifice remettrait de l'ordre dans le secteur de l'élevage ovin et permettrait de reconstituer le cheptel dans une grande proportion, ce qui ne manquerait pas d'influer sur le prix de la viande. Le prix normal d'un kilo ne devra pas dépasser 16 dinars. L'éleveur comme le boucher trouveront leur compte avec des gains conséquents. Je le dis et répète en connaissance de cause, en tenant compte de toutes les charges afférentes à cet élevage très rentable d'ailleurs. Cela étant et d'un point de vue strictement économique, un million de moutons sacrifiés en une seule journée revient à 500 milliards de nos millimes, à raison de 500d l'agneau. Une moyenne très généreuse, dans la mesure où la tête peut se négocier jusqu'à plus de mille dinars! Et on achète parfois sans broncher. Je sais, en traitant de ce sujet que je vais me mettre sur le dos certains irréductibles de la religion et la communauté des éleveurs et surtout des intermédiaires, mais eu égard à son importance et aux implications positives sur l'économie du pays, on ne peut ne pas en parler. Ce n'est nullement un sacrilège quand on sait que les gens qui n'ont pas les moyens sont exempts de sacrifice. Les riches et ceux qui en ont les moyens doivent, selon les préceptes religieux, donner la majeure partie du mouton aux pauvres. Et c'est cela le vrai sens du sacrifice que nos augustes oulémas doivent enseigner au commun des citoyens faute d'avoir le courage d'émettre une fatwa qui permet de surseoir à cette tradition au moins l'espace d'une seule année. Ose-t-on penser positif et se départir de certains carcans pour voir l'intérêt général du pays et son avenir en la matière et en bien d'autres ? Nous l'espérons fort bien tout en étant convaincus que ce genre de discours a peu de chance de passer, surtout par les temps qui courent. Mais sait-on jamais ?