2010 : l'année tunisienne du cinéma et l'année internationale de la jeunesse. Le Festival de Carthage a choisi de célébrer celle-ci et celle-là, en programmant pour la première fois de son histoire un long métrage en ouverture. Un film dont l'héroïne (Leïla Ouaz) est justement une jeune femme, représentant un âge où l'on est souvent en quête de repères, de vérités. Pour la circonstance, le festival a doté sa scène d'un nouvel écran, immense et ultra moderne (gonflable à l'eau, nous dit-on) qui, ajouté à la bonne sonorisation, a offert des conditions de projection idéales pour les 3.500 à 4.000 spectateurs qui ont consenti le déplacement, avant-hier, au théâtre de Carthage, débarrassé pour l'occasion des chaises de la fosse, à la place desquelles on a mis une estrade pour accueillir et présenter Abdellatif Ben Ammar, le réalisateur, et son équipe. Un prélude des grandes premières. 1991 : bruit de bottes en Irak, les canons se préparent à tonner, les bombes à anéantir… Bizerte, la ville martyre de la bataille de l'évacuation, vit cet avant-guerre, drapée de gris hivernal et dans une ambiance de vent et de froid. Le parallélisme est établi, la symbolique déclarée‑: la guerre, ici et là, hier comme aujourd'hui, pourquoi? Comment? Quels effets? Et qu'en gardera-t-on, pour nous et pour les générations à venir? C'est là le fond des Palmiers blessés, de Abdellatif Ben Ammar. Que nous en a-t-il restitué et à travers quelle trame? «Chama», une jeune diplômée est à la recherche d'un emploi. Elle est engagée par un écrivain (Néji Najah, alias Hechmi Abbès) installé à Bizerte pour taper un manuscrit autobiographique. La ville, tout comme le contenu du livre qui traite de la guerre de l'évacuation, l'incitent à mener sa propre enquête pour connaître les tenants et les aboutissants de ces évènements qui ont coûté la vie à son père, patriote volontaire. Une double coïncidence (pas très fort, parce que peu vraisemblable) qui permet quand même au réalisateur d'accélérer le rythme à travers la recherche de la vérité menée par Chama (Leïla Ouaz) et les témoignages qu'elle recueille auprès d'anciens compagnons de son père dont les propos, sans révéler des mémoires infaillibles et des faits tangibles, mettent à nu, malgré tout, la malhonnêteté intellectuelle de l'écrivain et montrent que, à l'évidence, ce dernier est en train de manipuler l'histoire à son profit. Où se situe la vérité ? Comment dénicher les réalités historiques, scientifiquement établies ? C'est le questionnement qui amène Ben Ammar à clairement dénoncer la déformation, la manipulation ou carrément le «black-out» que certains historiens «soldés» imposent aux évènements relatifs aux guerres, notamment. D'où des mémoires bafouées et des repères perdus pour les générations à venir. Le réalisateur, un maître-technicien du cinéma, n'a pas manqué de trouvailles pour symboliser son attachement à l'exigence de sauvegarde de la mémoire, appelée à devenir collective. Il a ainsi réuni des visages connus de la scène artistique et intellectuelle, comme Ouled Ahmed (poète), Mahdaoui et Ben Saâd (peintre), Bouzid (cinéaste), Tébourbi (notre confrère critique d'art), qu'il a pérennisés en les convertissant en musiciens animateurs d'une soirée de réveillon. Une bouffée d'air qui a été la bienvenue. Il a également choisi de garder les prénoms réels des comédiens qui ont campé les rôles des compagnons du père («Aïssa» — Harrath —, «Slim» — Mahfoudh —, etc). Révélatrice aussi, la mort du photographe de guerre, dans la mesure où elle a constitué un clin d'œil relatif aux documents et aux archives que certains s'accaparent et refusent de livrer aux concernés, voire aux vrais propriétaires sinon moyennant finances. N'est-ce pas le cas de ces photos et de ces films de la Tunisie à l'époque coloniale que nous autres n'amenons de France qu'au compte-gouttes et au prix de gros sous? Notre mémoire n'est-elle pas d'une autre manière assiégée? Les palmiers blessés a révélé encore une fois le grand technicien qu'est Abdellatif Ben Ammar, sa bonne direction des acteurs («Chama» dans la sobriété est loin de toute agressivité où quelqu'un d'autre aurait facilement et inopportunément versé, «Hechmi Abbès» dans son antipathie, sa rigidité et son arrogance…), mais il nous montre aussi des lenteurs (voulues, peut-être) surtout au début, parfois des attardements inutiles de la caméra ainsi qu'un manque de punch dans les propos. Cela reflète, serions-nous tentés de dire, la nature même de Abdellatif Ben Ammar qui n'est pas dans l'emphase, l'exagération ou l'agressivité. Nous saluerons l'hommage qu'il a rendu à feu Mohamed Mahfoudh, ancien journaliste et directeur de La Presse, à qui il a dédié son film, un film qui mérite, à coup sûr, d'être vu et apprécié.