Quelles nouvelles tendances littéraires sont apparues après la révolution ? Peut-on parler de révolution littéraire post-2011 ? Au cours de la semaine dernière, le Credif (Centre de recherche, d'études, de documentation et d'information sur la femme) a accueilli une journée d'études sur le thème « Littérature tunisienne et révolution ». Organisé sous la coordination scientifique d'Ophélie Arrouès-Ben Slama et Kmar Bendana, académiciennes associées à l'IRMC (Institut de recherche sur le Maghreb contemporain), cet événement a également impliqué l'Inalco Cermon (Centre de recherches Moyen-Orient Méditerranée). Ce thème de la littérature tunisienne au regard de la révolution a été différemment abordé par les intervenants, qui se sont intéressés aux nouvelles formes et tendances du langage, de l'écriture et de l'édition que la révolution a touchées, ou pas encore. La littérature et son contexte Quelques réflexions au sujet de la littérature tunisienne après 2011 ont été avancées par Sobhi Boustani, directeur du laboratoire Cermon de l'Inalco, qui a commencé par noter que l'on ne peut séparer la littérature de son contexte. Ce professeur de littérature arabe moderne a été membre du jury du prestigieux Prix Booker du roman arabe. Il a ainsi eu à faire à de nombreuses œuvres tunisiennes post-révolution. « Celles-ci sont caractérisées par une approche politique néoclassique de la société », remarque-t-il. Une liberté de parole retrouvée et un désir d'exploser après tant d'années de répression accompagnent ces écrits. Parmi eux, « Saadatouhou assayed al wazir » de Houssine Elwed qui offre « une mise en scène originale et une ambiance mystérieuse avec des personnages anonymes — pour pouvoir généraliser — où la société est décrite sous une approche anarchique, avec une écriture fragmentée », décrit Boustani. Dans un autre registre littéraire, Moncef Ouhaïbi écrit en 2012 « Achikat Adam », qui présente selon Sobhi Boustani un nouveau langage. Le livre est en effet une conversation facebook entre le poète et une amie à lui. «Un nouveau langage qui pourrait s'inscrire dans l'autofiction», pense l'intervenant. En guise de conclusion, il a avancé que la littérature tunisienne de l'après-2011 évolue raisonnablement, sans rupture avec l'avant-2011. «Les auteurs restent discrets par rapport au thème de la révolution, contrairement à leurs homologues égyptiens qui font de la Place Tahrir un passage obligé dans leurs livres. Les Tunisiens ont compris qu'un tel événement nécessite du temps pour s'installer dans les mémoires collectives», résume-t-il. Littérature de la révolution ou révolution de la littérature ? L'expérience menée par Moncef Ouhaïbi n'est pas unique. Littérature et révolution vont de pair avec les nouvelles technologies, et cela influence la manière d'écrire et d'éditer. A son tour, Riadh Sifaoui a édité, en février 2014, «Tunisie. Fragments de révolution», dont les textes proviennent de son blog El-Kasbah, né sur Facebook en 2011, et dont Shirane Ben Abderrazak est le rédacteur en chef. L'édition de ce livre « vient de l'envie de matérialiser cette expérience qui, en apparence virtuelle, a été en fait très réelle », décrit Riadh Sifaoui, qui assure que le blog a survécu au livre. D'autres exemples ont été donnés par les professeurs Samia Kassab-Charfi et Adel Khedher autour du questionnement : «Littérature de la révolution ou révolution de la littérature ?». L'un de ces exemples est le manifeste du mouvement poétique «Nass» (texte) dont les auteurs Oumaïma Zaier, Nizar Hmidi, Zied Abdelkader et Slah Ben Ayed proposent une poésie nouvelle par rapport à la génération des poètes des années 90. En même temps, les deux chercheurs posent la question de la temporalité liée à la littérature. «2011 a généré plusieurs œuvres mais permet de lire à sa lumière des œuvres d'avant la révolution», atteste Samia Kassab. Elle pense entre autres à l'écrivain Béchir Khraief dont l'œuvre mérite, selon elle, une rétro-lecture. Quant à Adel Khedher, il est convaincu que la révolution, sur le plan politique et littéraire, traduit une déchirure dans le contrat social tunisien. «Sa structure immunitaire a été profondément touchée», selon son diagnostic. Les deux intervenants s'apprêtent à éditer ensemble un ouvrage intitulé «100 ans de littérature tunisienne». Ils s'y sont intéressés à 200 auteurs dont seulement une vingtaine francophones. « Il faut qu'il y ait des traductions dans les deux sens », a déclaré Samia Kassab-Charfi. Cette dernière ajoute qu'à son sens, il n'y a rien de révolutionnaire dans la littérature tunisienne et note beaucoup d'inhibitions sociales, même pour les auteurs francophones. Du nouveau a été quand même annoncé par Adel Khedher qui prédit une révolution littéraire grâce à des œuvres qui paraîtront prochainement, par des auteurs tels que Kamel Zaghbani et Kamel Riahi. Il nous semble que, tout comme la révolution, la littérature de la révolution est tout un processus, qui doit prendre son temps.