Déjà, les décisions prises par la commission parlementaire du règlement intérieur font débat. Sept députés pour former un groupe parlementaire, l'appel étouffé à la révision de la constitution et la volonté de tenir la société civile à l'écart du contrôle de l'action parlementaire invitent à poser la question : est-on en train de reproduire l'ANC défunte ? Au sein de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), on met les bouchées doubles depuis l'élection du président et des deux vice-présidents pour que le règlement intérieur de l'Assemblée soit prêt dans les plus brefs délais. Et les décisions de pleuvoir: d'abord, la formation d'un groupe parlementaire se limitera à sept députés (en France, un groupe parlementaire compte au moins trente députés), ensuite le président, le premier vice-président et le deuxième vice-président de l'ARP garderont leurs postes de responsabilité durant les cinq années de la législature permanente et, enfin, le bureau de l'Assemblée comprendra, outre les présidents des groupes parlementaires et les présidents des commissions parlementaires, neuf assistants du président parmi les députés, soit un bureau qui comptera au moins trente membres. Comment les spécialistes, plus particulièrement les juristes et les constitutionnalistes, réagissent-ils à ces décisions et comment jugent-ils le rendement des nouveaux députés dont certains n'ont pas hésité à appeler, mercredi 17 décembre, à réviser certains articles de la Constitution et que d'autres n'ont pas résisté à la tentation d'écarter les associations de la société civile de leur action consistant à assurer le suivi, voire le contrôle de ce que font les députés au palais du Bardo (en particulier les fans de l'absentéisme) ? Les députés soutiennent qu'ils n'ont de leçons à recevoir de personne ni de comptes à rendre à quiconque dans la mesure où ils bénéficient de la confiance du peuple. Bonjour le nomadisme parlementaire Pour le Pr Abdelmajid Abdelli, enseignant de droit public à l'université tunisienne, «la multiplication des groupes parlementaires au point qu'un groupe parlementaire peut être constitué de sept députés est à même d'enrichir les débats au sein de l'Assemblée. Sauf que cette décision a été prise pour satisfaire certains partis politiques et encourage au nomadisme parlementaire dont a souffert la défunte ANC. Même si la diversité sera présente, on assistera à des groupes qui se feront et disparaîtront au gré des alliances et des intérêts du moment». Quant à la décision selon laquelle Mohamed Ennaceur, Abdelfattah Mourou et Faouzia Ben Foddah Chaâr préserveront leurs postes à la direction de l'Assemblée, le Pr Abdelli estime que «c'est une décision qui relève de la compétence du Parlement. La présidence tournante d'une année aurait été plus avantageuse même pour le parti qui dispose du plus grand nombre de sièges». Des indicateurs qui ne rassurent pas Le Pr Jawher Ben M'barek, enseignant universitaire de droit constitutionnel et coordinateur général du réseau «Doustourna», voit les choses autrement et décèle déjà «des indicateurs qui ne rassurent pas quant au rendement attendu de nos députés issus du rendez-vous du 26 octobre 2014». «D'abord, la proposition relative à la révision de la Constitution envoie un message négatif. Elle révèle un comportement de précipitation manifeste qui ne fait que confirmer les doutes et les rumeurs qui caractérisent le climat politique régnant à l'heure actuelle où tout le monde se méfie de tout le monde. Ensuite, décider qu'un groupe parlementaire sera constitué de sept députés, cela relève de la fourberie parlementaire inadmissible. La floraison des groupes parlementaires aura un impact négatif sur le fonctionnement des commissions parlementaires permanentes et sur les commissions d'enquête ou d'investigations que l'Assemblée pourrait former. En tout état de cause, l'action parlementaire va être déstabilisée et le tourisme parlementaire battra son plein. En France, pays aux traditions parlementaires ancrées dans l'histoire, un groupe parlementaire doit compter au moins trente députés. Et puis, il ne sert à rien de cacher la vérité, cette décision a été prise pour satisfaire un parti politique déterminé. Et comme le cycle des satisfactions est ouvert, voilà que le bureau de l'Assemblée se voit flanqué de neuf assistants du président. C'est une inflation de procédures qui n'a d'objectif que de distribuer les postes, ce qui va faciliter les alliances. A l'opposé, l'action ordinaire de l'ARP va se trouver bloquée du fait de la pléthore des responsables. C'est du déjà vu et cela nous rappelle la malheureuse expérience des gouvernements de la Troïkas où on a compté jusqu'à 80 ministres et secrétaires d'Etat», ajoute Jawher Ben M'barak. Autant d'indicateurs qui menacent de voir les bourdes commises par l'ANC défunte se reproduire mais cette fois avec des députés qui occuperont le palais du Bardo pour cinq années. Jawher Ben M'barek se débarrasse de sa casquette de constitutionnaliste pour mettre celle du militant de la société civile et tire la sonnette d'alarme sur les prémices inquiétantes révélant la volonté de certains députés d'empêcher les associations de la société civile de contrôler l'action parlementaire et le rendement des députés. «Le clash enregistré au sein de la commission du règlement intérieur entre le député nidaiste Khemaïs Ksila et Ons Ben Abdelkrim, présidente de l'Association Bawsala, à propos de l'ouverture des travaux des commissions aux médias, en particulier à la TV, et les sanctions pécunaires à infliger aux députés absentionnistes est inquiétant à plus d'un titre. Il cache une volonté de retour en arrière cherchant à empêcher les Tunisiens d'être informés sur ce qui se passe au sein de leur Parlement. Reste que la société civile n'est pas prête à lâcher prise et à poursuivre son action de plus belle dans le but de dévoiler, à temps, tous les dépassements d'où qu'ils proviennent», conclut-il.