• Le silence des dunes conjugué à la splendeur des palmiers Le Sahara tunisien, réputé pour son charme, sa quiétude et sa sécurité, ses étendues calmes et grandioses et ses oasis de montagne, offre au visiteur des moments de pur bonheur et de communion. N'a-t-on pas dit un jour que «sans mouvement la vie est une léthargie». En y songeant, l'on n'hésite point à partir sur les routes. Plus forte que la faucille et le marteau, plus forte encore que l'attirance des lumières, Douz est depuis toujours un berceau de l'âme, où le réel est infiniment dorloté par le rêve. Là-bas, c'est silence, c'est blanc, c'est solennel et le voyageur, le vrai voyageur sait qu'il est là où il doit être. Randonnée sans repères chez des hommes que le désert a forgés. Point de départ, Tunis, la route garde une part de son mystère. La gent à bord sait très bien qu'il y a une bonne distance à parcourir. Tout autant que l'ultime apanage des impatients est tout bonnement un sommeil étendu. Alors que ceux qui s'en réjouissent se sentent, de temps à autre, seuls sur la terre, sans frères ni proches, pour s'adonner à de tendres rêveries, dans une nature silencieuse, immuable et accueillante. Le mouvement du vent, pénétrant par de petites lucarnes, rythme flâneries et sommeil. Toutefois, des mots volatilisés dans l'espace ne font que limoger le charme de la rêverie, pour arracher rêveurs et contemplateurs d'au-dedans d'eux-mêmes, les remettant à l'instant sous le joug du vécu. Points de passage, Kairouan, puis Gabès, Kébili accueille ses visiteurs à bras ouverts. Des oasis aux couleurs incandescentes s'étendent à perte de vue, apostrophent tant d'âmes exaspérées par le brouhaha de la ville, leur promettant un vrai soulagement de leur peine. Au bout du chemin, il reste à parcourir trente kilomètres pour atteindre Douz, la porte et la beauté charnelle du désert. Sous un soleil de plomb, le vrombissement des moteurs barre un silence grandiose. Derrière les vitres, les regards se promènent, admirent des dunes élevées comme des cicatrices ornant précieusement les plaines désertiques. Les esprits ne gambadent pas dans l'immensité, ils s'y montrent opiniâtres plutôt. Les dits du souk Au terme d'un court séjour de rêve, on s'est aperçu qu'il y a une ville dans la ville, à Douz. En effet, le souk est, à forte raison, le cœur palpitant de la ville. Et face à un temps qui suspend souvent son vol, le souk devient un lieu de rencontres privilégié. Un joli microcosme. Une saga de vies, d'histoires et de récits. De bonne heure, le matin, les premiers arrivés ne sont autres que des artisans dont le savoir-faire est le fruit d'une longue tradition. En cultivant leur jardin, certains fabriquent avec une rare dextérité des babouches de couleurs différentes, portant de fines décorations et des chaussures en poil de chameau. D'autres confectionnent des burnous célèbres par leur moelleux et de sublimes tenues sahariennes brodées. Hadj Mansour Ben Abdallah, chausseur de renom de la place, produit des babouches et des chaussures de désert en peau de vache ou encore de chèvre. Il avance, à ce propos, que la matière première est fort déterminante dans la durée de vie de l'objet fabriqué. «Le désert est immense et a soif. En entamant mon travail, j'y songe constamment pour confectionner des objets capables de résister à la voracité du sable», tranche notre interlocuteur, soulignant qu'il n'y a que le labeur qui puisse donner un sens à la vie. En avalant les mots, il laisse entendre que le métier remonte à une époque bien lointaine et constitue une partie intégrante du patrimoine de la région. Toutefois, il risque un proche péril, vu le désintéressement des jeunes. «Mais qui va perpétuer la tradition, une fois que l'on serait parti?», s'interroge Hadj Ben Abdallah. Les murmures du souk se diversifient et se complètent. Dans le voisinage, Mohamed Ben Néji, un jeune de 32 ans, joliment habillé en tenue de touareg et en sandales «Anaïs», vend des articles ayant trait au vécu des touaregs. Des babioles et des pendentifs de tous genres tapissent les murs de sa boutique, étant agencés par ordre thématique. De la symbolique au décor en passant par l'utilité, le dedans des lieux se veut un véritable guide de voyage civilisationnel. Beau parleur, ce jeune vendeur maîtrisant, comme les natifs de la région , la langue des Mrazigs, affirme que son magasin est le plus souvent prisé par les touristes. Lui, accueillant, ne tarde point à leur fournir d'importants renseignements sur les peuples nomades. «Certains l'ignorent, peu d'autres le savent : les nomades se répartissent en 21 tribunes, dont les Algadès, les Bagzénes, les Ingates, les Tinias, les Efrouanes et les Airs. Les touristes apprécient le fait de leur en parler. C'est une sorte de tourisme culturel, dans la mesure où l'on parle de savoir ethnographique», dévoile notre interlocuteur. De l'autre côté du souk, juste en face, à l'ombre de vieux eucalyptus entrelacés, de bons vieux jardiniers du désert s'adonnent au jeu de go «kharbga», dont ils tracent sommairement les damiers sur le sol à la craie. Hadj Amor Ben Yahia, la soixantaine, ancien professeur d'arabe, laisse entendre que ce jeu date d'une époque très lointaine. «C'est un jeu inséparable de la mémoire populaire», souligne-t-il. Ces bons hommes, qui se retrouvent quotidiennement pour de nouveaux paris et d'autres contes, papotent, s'apostrophent, portent un regard sur l'actualité et avouent qu'ils ont vécu. Sur ce, le souk de Douz est emblématique. Sinon, aux retrouvailles matinales succèdent celles du soir, sous un soleil de crépuscule brûlant les dunes. De virtuoses fileurs de mots entreprennent des contes en prose, où le passé et le présent se mêlent inlassablement. Le temps s'en va, les dits du souk demeurent.