Par M'hamed JAIBI La Tunisie vient de prouver au monde entier, au détriment des théories salafistes et jihadistes, que les arabo-musulmans peuvent parfaitement construire une République démocratique et gérer les affaires de leur cité, conformément aux valeurs de la souveraineté populaire, aux vertus du dialogue et aux principes de la séparation des pouvoirs et de l'alternance. Un échiquier politique équilibré Au terme d'une transition laborieuse où la libre parole a été largement au rendez-vous, et d'un processus électoral qui a enfanté un échiquier politique équilibré, le pays espère voir les protagonistes majeurs de la scène nationale mettre en place les outils et les mécanismes de nature à asseoir les institutions de la IIe République et à créer les conditions d'une remise adéquate du pays sur les rails. La formation du premier gouvernement de cette IIe République représente, dans ce sens, un test majeur, significatif quant à la viabilité du nouveau processus et à ses perspectives de relance de l'économie et du développement, ainsi que du sain fonctionnement des mécanismes d'équilibre entre les pouvoirs, et de jeu des contre-pouvoirs. Une majorité confortable Le gouvernement que tente de mettre en place Habib Essid semble chercher à s'acquérir une majorité confortable au sein de l'Assemblée et, dans la mesure du possible, associer dans un large consensus les deux grands partis dégagés par les élections législatives du 26 octobre 2014. Il s'agit d'un gage de stabilité et de bon fonctionnement des instances de l'Etat, qui sont essentiels à l'opération de sauvetage du pays. Malheureusement, au même moment où le parti Ennahdha — favorable à la nomination de Habib Essid — donne l'impression d'accrocher, des bémols se font sentir au sein de Nida Tounès où, pourtant, personne ne conteste le choix du Premier ministre pressenti. Le rôle revenant à Nida Tounès Les déclarations de Lazhar Akremi puis, surtout, de Khemaïes Ksila donnent à voir des malentendus évidents entre le groupe parlementaire de Nida Tounès et le parti, ne serait-ce que quant à la possibilité de cumuler un mandat électif et une responsabilité ministérielle, option contre laquelle s'est solennellement dressé Mohsen Marzouk, nouveau porte-parole de la présidence. Dans la nouvelle géographie de l'échiquier politique du pays, où plusieurs enseignes modernistes ont perdu pied, la place et le rôle revenant à Nida Tounès sont essentiels dans l'équilibre des forces et dans le rétablissement des choix de tunisianité, de modernité et d'ouverture. Des choix que les électeurs ont ainsi cautionnés. La chèvre et le chou L'équation qui se pose aujourd'hui est inédite. Il ne s'agit plus simplement de partir à la recherche d'une majorité de gouvernement, mais de ménager la chèvre et le chou : faire pleinement jouir l'électorat de Nida Tounès de sa double victoire électorale, tout en réussissant le tour de passe-passe de faire cautionner le nouveau gouvernement par l'état major d'Ennahdha, celui-là même qui avait joué la neutralité à la présidentielle à l'encontre du vote massif de sa base. C'est proprement à ce niveau que se situe la responsabilité revenant aux divers leaderships politiques dans le sauvetage du pays. Mettre en œuvre un consensus authentique qui ne torde le cou à personne, ni à Ennahdha, ni au Front populaire, ni surtout à Nida Tounès ou à son groupe parlementaire, émanation de son électorat. Car la viabilité de la nouvelle expérience résidera incontestablement dans sa sincérité.