Interrompu en 2005, le cycle «Tarabiyat» a repris, samedi à Ennejma Ezzahra, avec un concert de Leila Hjaiej. Une interprète sûre, une voix née pour cet art subtil du chant. Trois autres récitals suivront, les autres samedis de Janvier : Hassen Dahmani(le 17), Noureddine Béji (le 24) et Sonia M'barek (le 31) . Ça promet ! On en fera l'aveu d'emblée : par les temps qui courent, il n'est plus évident de programmer un cycle de concerts consacré au «Tarab». Le genre, d'abord, est, dores et déjà, difficile à définir. Dans les années 30-50, aucun problème : il y avait, clairement, la chanson et les voix qu'il fallait. Il y avait, surtout, des normes musicales précises, et des références critiques unanimement reconnues. Idem, ou presque, lors des années 50-75, on savait encore distinguer le bon grain de l'ivraie : qui peut accéder à ce haut niveau de chant, et qui n'y avait absolument pas droit. Hélas, ce n'est plus le cas depuis. Non pas que les grands talents se soient évaporés (on n'ira pas jusque-là), mais parce que les règles, les références, les distinctions d'écoles et de niveaux, les autorités critiques et les hiérarchies ont pratiquement disparu. Les «voies» du succès ont, ensuite, radicalement changé. Elles dépendent, inexorablement, du système médiatique et du marché. Plus besoin de reconnaître un chanteur à la qualité intrinsèque de son répertoire, de sa voix ou de son chant. Seuls les gros éditeurs, les grandes chaînes de télévision ont le réel pouvoir d'en « juger », d'en décider. Deux impasses, pour tout dire : - Artistiquement, esthétiquement, il n'est plus possible de savoir où résident les caractéristiques du tarab. - Commercialement, qui plus est, le dernier mot ne revient plus au récepteur direct, au public, mais à l'intermédiaire, producteur, diffuseur, publicitaire, agent et autres «bailleurs de fonds». Dans ces conditions, on se sent, loin, très loin, de ce que représente l'art classique du Tarab. Et l'on comprend pourquoi le Tarab ne constitue plus, tellement un challenge, ou une ambition, jusque pour les voix les plus douées. On comprend, aussi, que Tarabiyat ait dû s'interrompre il y a une décennie. Mais on réalise, à vrai dire, l'exploit des organisateurs d'Ennejma Ezzahra, aujourd'hui. Car, au beau milieu du «charivari» musical qui règne sur nos scènes, nos radios et nos télés, c'est un bien courageux défi que d'aller, ainsi, quasiment en «porte-à-faux, quasiment à contre-courant». Et on ne peut, à l'évidence, qu'applaudir aux chanteuses et chanteurs qui ont relevé le défi. Cela témoigne d'un goût prononcé pour la grande musique, et d'une fidélité tenace pour le beau chant. La première prestation, celle de Leïla Hjaiej, ce samedi, fut, en tout cas, un modèle du genre. En totale conformité avec ce que pratiquaient et ce que prêchaient les grands maîtres classiques du Tarab. C'est à dire, une technique sobre en fusion subtile avec la sincérité des sentiments. Jean Durring (grand orientaliste et grand spécialiste)disait que dans le processus de l'extase (le Tarab, en fait) «il faut attendre, savoir attendre, développer sans rien rechercher, l'émotion profonde naîtra de cet absolu retrait». Le chant de Leïla Hjaiej, samedi, était de cet ordre, qu'elle dût s'attaquer au grand monologue (Ya nassi ayamna, de Souad Mohamed) ou à l'émouvantissime Dawr de Zakaria Ahmed, Oum Kalthoum (imta al hawa) ou aux belles taqtuqas, «pépites» rares, toutes en saveur, de Abdelwahab (igri,igri) de jouini (hobbi yetbaddel) de Thraya (Ki yidhiq...)ou, un vrai moment ! de Essayda Naâma (Habibi ya ghali). Tout était dans ce dosage, dans cet équilibre subtil (longtemps expérimenté, cette fille sait décidément y faire dans l'ardu, depuis ses débuts avec «El Farabi) entre la technique et le sentiment. La salle en était «happée». Bravo !