Par Khaled TEBOURBI De grandes figures de la musique nous quittent. Triste série : Sabah, Joe Cocker, icônes internationales(des idoles pour nous), mais içi encore, les tout proches et non moins présentissimes Hadj Lajmi et Ridha Khouini,et puis,ce début janvier, Julien Jaleleddine Weiss, cithariste de renom, converti intégral au maqam et à la tradition classique dès la mi-70, au repertoire soufi, début 80, à l'Islam et au soufisme, depuis 1986. Les médias arabes et tunisiens n'ont pas fait grand écho à la disparition précoce(il n'avait que 61 ans) de Julien Weiss. Plutôt choquant. L'homme a collaboré avec les solistes virtuoses et les voix les plus célèbres du Machreq et du Maghreb. Et sa troupe «Al Kindi» a contribué au rayonnement mondial de nos musiques savantes. Il fut, de surcroît, l'élève, le disciple, puis le compagnon de concerts, de l'immense Mounir Bachir. Nombre d'artistes musiciens et chanteurs tunisiens l'ont côtoyé et plus ou moins pris part à ses concerts et ses différents travaux.Dont Lotfi Bouchnaq qui fréquenta la troupe «Al Kindi» et fut une de ses meilleures affiches, au plus fort de son audience, dans les années 90,époque illustre des Adib Eddayekh, Omar Sarmini,Sabri Moudallel et autre Sheikh Hamed Habboush l'Aleppin. Tout un parcours(et l'on en omet)marqué non seulement par une passion authentique pour la grande musique arabe,mais plus encore, par un véritable militantisme en faveur de nos arts et de notre culture d'une façon générale. Une fidélité sincère et un don de soi constant qui suscitent,un peu, l'embarras, aujourd'hui.Par quoi expliquer cette « omission », cet «oubli» qui a tout l' air d'être convenu ? Par la «primauté» des événements politiques, peut-être. Par la tragédie syrienne, sans doute.Alep s'est arrêtée de chanter voilà plus de trois ans. Et le défunt,atteint d'un mal irréversible,ne cessait de rêver d'un «retour en Syrie». Mais il y a eu d'autres raisons à cela. «L'idée» fortement propagée, d' abord(et spécialement dans le milieu musical arabe)que Julien Weiss ne fut qu'un «modeste cithariste»,contrairement à «ce qui se colportait à travers les médias occidentaux ». N'était-ce vraiment qu'une «idée» ? Qu'un jugement malveillant ? A dire vrai, les journaux français en rajoutaient, un peu, quand ils évaluaient le jeu du « grand maître de la cithare orientale». Ce superlatif n' a jamais été employé par les grands solistes ni, non plus, par les critiques arabes. C'est dire que sur ce point, les «dubitatifs» avaient quelque «argument» à faire valoir. Ensuite, Julien Weiss avait eu un pseudonyme :Julien d'Arabie.Connotation «orientaliste» davantage que «d'orientalité», Sir Lawrence n'a pas laissé qu'une image de «parfait dévouement ». Lui emprunter un surnom n'a pas dû bien «fonctionner». J'ai rendu visite,une ou deux fois,à Julien Weiss,rue Belleville à Paris. On était fin 90. Il était en belle forme et avait très bien interprété un extrait de samai «sika». Ce qui m'avait surpris et convaincu, c'était la relative aisance avec laquelle il se sortait, lui, le natif de la musique tonale,de nos redoutables, mais ô combien subtils et raffinés quarts de tons. Le mode sika en «regorge ». Julien les restitua sans le moindre accroc.Mais il lui manquait,malgré tout, d'en être tout à fait «imprégné», et de «nous toucher, comme on dit, au cœur» beaucoup plus «qu'à l'ouïe». Moins d'émotion,mais,en revanche, énormément de savoir et de goût.Je garde surtout cela de ma visite parisienne à Julien Weiss. Et cette bonne impression sera, plus tard,largement confirmée,quand il finira par s'installer en Turquie(en 2003)et qu'il produira son morceau de bravoure, le «Stabet mater dolorosa », pièce mystique universelle où il mêlera «hommages musulman et chrétien» dans un magnifique duo de chorale grecque orthodoxe et de vocalités arabes d'exception. Un chef-d'œuvre unique,et une pensée bien due à «Julien d'Arabie».