Une femme qui succède à une autre à la tête du ministère du Tourisme. Pour la seconde fois de son histoire, le département sera géré par une femme. Sera-t-elle capable de relever les défis du secteur ? Aura-t-elle le courage d'aller au fond des problèmes ? Réussira-t-elle à restaurer la relation avec les professionnels, détériorée par Amel Karboul ? La nouvelle ministre est appelée à relever de nombreux défis dans un secteur en pleine crise où les grands chantiers ne manquent pas. Il fut un temps où l'ambition du tourisme tunisien était de réaliser 10 millions d'entrées, selon un ticket moyen de 800 dinars, soit 400 euros par visiteur, et générer ainsi 8 milliards de dinars de recettes touristiques à l'horizon 2016. Ces chiffres résultaient de l'intersection de deux logiques. D'abord, suivre a minima la croissance mondiale, estimée à 50% par l'Organisation mondiale du tourisme à l'horizon 2020. Ensuite, atteindre en 2016 les résultats du Maroc, réalisés en 2010, objectifs qu'ils s'étaient fixés 4 ans auparavant dans le cadre du «Plan Azur». A cela s'ajoute l'inscription du secteur dans une dynamique plus pérenne de différentiation et d'attractivité et donc de croissance. Cependant, depuis 2011, le secteur a revu ses ambitions à la baisse. Et aucun des ministres post-révolution, successifs, n'a réussi à au moins retrouver les chiffres de l'année de référence, à savoir 2010. Et même l'arrivée d'Amel Karboul à la tête du ministère ne s'est pas soldée par une «réussite» au niveau des chiffres. On n'a pas atteint l'objectif escompté de sept millions de touristes. On l'a à peine frôlé, avec notamment la consolidation et la reprise de certains marchés (mais toujours loin des chiffres de 2010). Karboul aurait eu le mérite d'avoir mis à exécution le plan d'action pour le développement du tourisme tunisien issu de l'étude réalisée par Roland Berger en 2010. Une stratégie rebaptisée «Vision 3+1» pour laquelle elle a engagé 1,5 MD, au titre du financement de 60% des projets en 2015. Une stratégie axée sur la diversification de l'offre touristique, le renforcement des produits provenant des régions de l'intérieur, l'identification des spécificités de chaque région et l'amélioration de la qualité des services. Mais encore, elle tend à améliorer l'image de la Tunisie sur les marchés touristiques et moderniser le secteur. Respect de la continuité de l'Etat Salma Elloumi Rekik, la nouvelle ministre du Tourisme, a indiqué, à la suite du vote de confiance du gouvernement, qu'elle s'inscrit dans la continuité de celle qui l'a précédée. Mme Rekik continuerait, de ce fait, les projets initiés par Mme Karboul, en respect du principe de la continuité de l'Etat. Aussi, a-t-elle indiqué qu'elle se donnait un délai d'une dizaine de jours pour présenter une feuille de route pour les 100 premiers jours de son mandat, à l'instar de l'ensemble des membres du gouvernement Essid, ainsi qu'une stratégie d'action pour les cinq prochaines années. En tout état de cause, elle pense que «redorer le blason du tourisme» constitue une des priorités. On devrait donc attendre un peu, le temps que la nouvelle ministre se familiarise avec son nouveau poste, assimile les priorités du secteur, comprenne les rouages de son administration et du tourisme tunisien, pour nous dévoiler son plan d'action. Et, à ce titre, elle devrait se douter que les chantiers sont vastes et que les défis sont grands. On ne sait si elle va tenir compte de toutes les recommandations de son prédécesseur, notamment pour ce qui concerne la fameuse stratégie 3+1. Des recommandations relatives notamment au déficit de communication auquel il faudrait pallier, au double niveau national et international, à la nécessaire recherche de fonds pour pouvoir financer toutes les actions en se focalisant surtout sur les lobbyings porteurs auprès des bailleurs de fonds à travers les réseaux de coopération internationale. Dans tous les cas de figure, la situation du tourisme tunisien exige une réforme soutenue qui devrait être poursuivie par le nouveau gouvernement, mais dans une parfaite symbiose avec les professionnels du secteur. On ne rappellera pas que l'Etat est «régulateur», il assure une fonction de contrôle certes, mais le secteur est géré à 100% par le privé. Ce sont eux qui font les investissements, qui sont sur le terrain et qui créent aussi bien de la richesse et de l'emploi. L'indispensable changement des mentalités En d'autres termes, il s'agirait d'installer un vrai partenariat entre l'administration et les professionnels, en s'orientant vers une réduction du rôle et de l'assistance de l'Etat. Car, la transformation totale du secteur présuppose quelques changements clés de la mentalité à plusieurs niveaux. D'abord, réduire le rôle et l'assistance de l'Etat (et des banques publiques) pour augmenter celui des privés et la responsabilisation qui s'ensuit (notamment financière). Ensuite, redevenir des opérateurs touristiques plus complets et non pas seulement des hôteliers sous-traitants des tour-opérateurs. En définitive, il s'agirait de se réapproprier collectivement notre propre patrimoine, pluriel et millénaire, pour mieux le proposer aux étrangers. Autre grand défi auquel la nouvelle ministre devrait faire face, il réside dans la prise d'une poignée de décisions courageuses dont celle de s'attaquer au gros problème du secteur, à savoir l'endettement. Une situation qui devient insoutenable et qui mérite des actions concrètes. La solution proposée par la Troïka, soit la société de Gestion d'actifs ou AMC (Assets Management Company), comme solution à la problématique de l'endettement des hôtels, est considérée injuste et inopportune par les uns et efficace par d'autres. Jusque-là, les professionnels ont eu gain de cause, puisque le projet de loi portant sur sa création a été retiré et le problème, aujourd'hui encore, demeure entier. Car, les professionnels estiment que ladite société est plus du côté des banques et au détriment des hôteliers. Ceci étant dit, les professionnels sont conscients de la gravité du problème de l'endettement. En gros, ils ne sont pas contre cette loi, mais contre l'ambiguïté et l'imprécision qui l'entachent. Ce ne sont-là que quelques-uns des défis sur lesquels la ministre devrait se pencher, pour les inclure dans ses priorités et leur trouver des solutions adéquates.