Ça y est, le gouvernement Habib Essid veut passer aux commandes. Enfin. Il saisit une occasion de haut vol. Les cent jours, date fétiche érigée par les Tunisiens comme un abcès de fixation. Et il annonce. Et il s'énonce. Re-enfin. Trois nouvelles donnes sont intervenues à ce propos ces derniers jours. En premier lieu, les mesures annoncées avant-hier pour Gafsa en général et le bassin minier de Gafsa en particulier. Au bout d'années de blocage, de manifestations, de heurts, de grèves sauvages ou légales, de pertes immenses et de manque à gagner faramineux. Des mesures se voulant prometteuses et fortes de l'aval des intervenants de divers horizons, voire des notabilités locales. Pour l'instant, la réaction est modérément mitigée, même si la balance pèse en faveur de la reprise à brève échéance de la chaîne de production dans les mines et dans les activités connexes. Auquel cas l'une des pierres d'achoppement majeures de l'économie pourrait être dépassée. En fait, le manque à gagner du bassin minier — quatre milliards de dinars en moins de quatre ans, comme l'a concédé le chef du gouvernement — a eu des effets pervers. L'endettement extérieur insupportable et le déficit vertigineux de la balance commerciale en sont corollaires. Egalement, la poursuite du chômage massif, bien supérieur à Gafsa à la moyenne nationale. Et ses excroissances perverties à tous égards. En deuxième lieu, le mouvement Nida Tounès, principal parti de la majorité gouvernementale, semble décidé à passer à la vitesse supérieure. Pas question de laisser les coudées franches outre mesure à Habib Essid. Il a été «convoqué» avant-hier au siège du parti pour une mise au point sur les urgences et le programme économique du gouvernement. Des ténors de Nida parlent même de programme actualisé et rénové du parti. Dans les coulisses, on murmure que Habib Essid devra s'appliquer à le réaliser scrupuleusement. Plus question de naviguer à vue. Ce faisant, les nidaistes veulent renverser la vapeur en quelque sorte. Ils savent bien que, dans l'opinion, on parle du gouvernement de Nida. Et qu'on les jugera à cette aune dans les prochaines joutes électorales. Alors autant s'assumer jusqu'au bout. Habib Essid est prévenu. Comme partout en pareilles circonstances, la nomination implique des engagements, sinon des servitudes. Le chef désigné compose avec ses mandataires, sinon ils le décomposent. C'est la loi du genre. Troisième échéance des cent jours, la désignation de Mohsen Marzouk au poste de secrétaire général de Nida. L'information était dans l'air depuis quelque temps. On en a été informé à Carthage il y a des semaines, sous réserve de discrétion. Soit. Le secret des dieux a, lui aussi, ses caprices. Mais c'est désormais public et formel. Le bilan de l'exercice de Taïeb Baccouche aux commandes de Nida est plutôt mi-figue mi-raisin. L'homme n'a pas de style. C'est encore moins un rassembleur. Ses défauts de communication sautent aux yeux des aveugles. Le bateau a commencé à prendre l'eau de toutes parts. Les dissensions, divisions, querelles de chapelle et guerres de taifas y ont fait des ravages immenses. Certains nidaistes ont crié au péril en la demeure. D'autres affichent une mine désabusée. En effet, paradoxalement, sitôt passé aux commandes de l'Etat en maîtrisant les trois présidences — de la République, du gouvernement et du Parlement — Nida Tounès a affiché un profil de fin de règne. Trop de chefs, trop de centres de pouvoir, dont certains occultes, trop de dissensions et de divisions. Mohsen Marzouk, aux yeux de ses fervents supporters, a des qualités indéniables. Il pourrait sauver la nef et provoquer une sorte de sursaut rageur. Pour d'autres, son défaut majeur c'est de travailler trop en solo. En tout état de cause, outre son passé de militant au sein de l'Uget, il affiche un bon carnet d'adresses avec les principaux ténors de la place et des attaches avec des réseaux et think tanks au Golfe et au Proche-Orient et en Amérique du Nord. Et surtout, il a la sympathie appuyée de Béji Caïd Essebsi, fondateur et chef incontesté de Nida Tounès, bien qu'il n'appartienne ni à sa génération ni à son univers culturel et idéologique. Mais voilà, Béji Caïd Essebsi a un coup de cœur pour Mohsen Marzouk. Et ce n'est pas peu dire. Trois nouvelles donnes intervenues quasi simultanément à l'occasion des fameux cent jours. Et ce n'est guère fortuit. Quel en sera l'impact à brève échéance? Est-ce à même de dissiper la morosité et la grogne ambiantes? Qui vivra verra.