Le CMF valide une OPA simplifiée sur Sits    Disparition d'un plongeur à El Haouaria : Khitem Naceur témoigne    Sidi Bouzid : 402 infractions économiques en un mois !    Soleil et températures en hausse pour ce jeudi !    30ème anniversaire du Prix national Zoubeida Bchir : le CREDIF honore les femmes créatrices    Ahmed Jaouadi décoré par le président Kaïs Saïed après son doublé d'or à Singapour    Kaïs Saïed fustige les "traîtres" et promet justice pour le peuple    Le ministère de l'Intérieur engage des poursuites contre des pages accusées de discréditer l'insitution sécuritaire    Tourisme médical : vers une Tunisie leader régional en santé    Tunisie 2025 : Reprise touristique record avec 5,2 millions de visiteurs    Donald Trump impose des droits de douane supplémentaires de 25% sur les importations de l'Inde    Macron dégaine contre Alger : visas, diplomatie, expulsions    Sept disparus à la suite d'un glissement de terrain dans le sud de la Chine    Report de la grève de la Transtu et de la SNTRI    Football-compétitions africaines des clubs 2025/2026: le tirage au sort prévu le samedi prochain en Tanzanie    La Galerie Alain Nadaud abrite l'exposition "Tunisie Vietnam"    La justice relance les poursuites contre l'association Mnemty et Saadia Mosbah    Absence de Noureddine Taboubi : qui assure la direction de l'UGTT ?    Hammamet interdit Quads, Motos et animaux sur ses plages    Quand le monde échappe aux cartes : pour une géopolitique de la complexité    Alerte en Tunisie : Gafsa en tête des coupures d'eau    Tech Day Kia PV5 : la technologie au service d'une mobilité sans limites    Accusations de harcèlement à Sousse : la version de la Chambre nautique fait trembler l'affaire    Succession dans le camp MAGA : Trump adoube JD Vance pour 2028    Inclusion financière de la femme : l'Etat préfère donner la parole aux hommes    Hiroshima : 80 ans après, un souvenir à jamais gravé    Donneurs par défaut, refus familial, loi de 1991 : les paradoxes du système tunisien de greffe    10ème édition du Festival Maraya El Founoun : un anniversaire sous le signe de l'art et de l'échange    « Koum Tara » à la 59eme édition du Festival International de Hammamet    Décès : Nedra LABASSI    A l'occasion du Mondial féminin : une délégation tunisienne au Royaume-Uni pour la promotion du rugby féminin    Tawasol Group Holding annonce un exercice 2023 dans le rouge    À la recherche d'un emploi ? L'ANETI est désormais entièrement en ligne    Snit et Sprols: vente par facilités et location-vente    Moins d'inflation, mais des prix toujours en hausse !    Création d'un consulat général de Tunisie à Benghazi    Météo : des températures jusqu'à 37 °C dans le sud !    Kaïs Saïed, Ahmed Jaouadi, mosquée Zitouna…Les 5 infos de la journée    Vague d'indignation après le retour ignoré d'Ahmed Jaouadi    Ahmed Jaouadi rentre à Tunis sans accueil officiel    La mosquée Zitouna inscrite au registre Alecso du patrimoine architectural arabe    Orchestre du Bal de l'Opéra de Vienne au Festival d'El Jem 2025 : hommage magique pour les 200 ans de Strauss    Le Théâtre National Tunisien ouvre un appel à candidatures pour la 12e promotion de l'Ecole de l'Acteur    Photo du jour - Ahmed Jaouadi, le repos du guerrier    Ahmed Jaouadi champion du monde à nouveau à Singapour dans la catégorie 1500 m NL (vidéo)    Au Tribunal administratif de Tunis    Le Quai d'Orsay parle enfin de «terrorisme israélien»    Mohammed VI appelle à un dialogue franc avec l'Algérie    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Abdelwahab Meddeb: Rached Ghannouchi est-il intelligent ou rusé?
Publié dans Leaders le 13 - 10 - 2012

Au début de son Epître sur l'Intellect (Risâla fî al-‘Aql), Farâbî réfléchit sur la différence entre l'intelligent et le rusé en politique. Et il soumet les deux catégories à l'exemple de Mo'âwiya, le calife fondateur de la dynastie Omeyyade, après sa victoire dans le conflit qui l'opposa à ‘Alî, conflit duquel découlera la grande division entre Sunnites et Shi'ites. Dans le sillage d'Aristote, Farabi estime que l'intelligent est celui qui délibère en usant de son Intellect (‘Aql) pour distinguer entre le bien et le mal et choisir le bien pour le mettre en pratique. Ainsi par la médiation du ‘Aql, on parvient au ta'aqqul, terme qui adapte la prudence aristotélicienne. Tandis que le rusé est celui qui, après avoir délibéré, choisit le mal pour le pratiquer.
Farabi réfléchit en contexte islamique dans la descendance grecque. Selon lui, c'est à travers le partage du sentiment d'humanité (ce que Farabi appelle le uns) que se perpétue la sagesse au-delà de la différence qui sépare les langues, les peuples, les croyances, les époques. Ici s'est exprimée la pensée profondément humaniste sur le site borné par la croyance islamique au cœur du Xe siècle bagdadien. Or, l'autre point de vue, sunnite hanbalite, qui mobilise les foules se dressait contre la vision humaniste alors si prégnante dans le milieu intellectuel et artistique, celui qui produit les œuvres de culture et les faits de civilisation. Milieu auquel appartient et Farabi et son autre contemporain humaniste le médecin Abû Bakr Râzi qui s'articule à la même filière de la descendance grecque. Or Farabi a quitté Bagdad, probablement contraint par la pression de la foule hanbalite (qui nous rappelle nos salafistes d'aujourd'hui).

Farabi laisse entendre avec subtilité qu'il perçoit en Mo'âwiya plus un rusé qu'un intelligent. Tandis que la foule hanbalite ne voit en Mo'âwiya que l'intelligent vertueux pour avoir accompli le bien en servant l'intérêt de sa religion.

Vous savez que cette semaine a été révélée en Tunisie une vidéo qui rapporte la rencontre qu'a eu le chef d'Ennahdha Rached Ghannouchi avec d'autres chefs salafistes pour les convaincre de sa juste stratégie et les appeler à la patience. Notre visée est la même, leur dit-il en substance. Mais nos méthodes divergent. Notre prétendue reculade, leur dit-il encore, à propos de la non-inscription de la sharî'a dans la constitution n'en est pas une. Nous nous contenterons de la mention de l'Islam, religion de l'Etat dans l'article premier. Le reste est affaire d'interprétation. Par cette mention, nous pourrons appliquer la sharî'a. Car pour nous, comme pour vous, islam et sharî'a sont une seule et même chose. L'un ne va pas sans l'autre. Il faut savoir user de patience, leur conseille-t-il. Contribuez à la réislamisation de la société, invitez vos prédicateurs privilégiés, investissez les mosquées, créez des écoles, gagnez les âmes, et le fruit tombera mûr.

Ghanouchi rappelle enfin à ses interlocuteurs salafistes que l'usage prématuré de la violence risque de se retourner contre eux. La police n'est pas tout à fait maîtrisée. L'armée n'est pas sûre. Souvenez-vous de l'Algérie, précise—t-il : les islamistes y étaient beaucoup plus forts que nous ; leurs laïcs beaucoup plus faibles que les nôtres ; ils ont été impatients, ils ont opté pour la violence, ils ont été écrasés.

Ces révélations ont fait l'effet d'une bombe. Les partis de l'opposition, les activistes de la blogosphère, les militants associatifs, les vigilants de la société civile s'en sont saisies et ont réclamé des comptes à Ghannouchi et à Ennahdha. Le camp des séculiers a jubilé car il dispose enfin de la preuve irréfutable du double discours des islamistes autoproclamés modérés, bref leur duplicité, leur non-fiabilité sont désormais patentes.

Alors la reculade après l'action de la société civile qui a conduit les islamistes à abandonner la complémentarité entre les sexes pour revenir à l'égalité sexuelle, l'autre palinodie qui les a amenés à ne plus réclamer l'exercice de la liberté dans les limites du sacré, toutes ces concessions ne sont plus considérées comme telles mais bien comme acceptation provisoire et tactique de dispositions qui seront transfigurées en leur contraire en rabattant le référent islam sur les plis de la sharî'a.

Or il existe parmi les séculiers des démocrates qui apprécient autrement le document compromettant. Il y voient en effet un usage du ta'aqqul, de la prudence de la part de Ghannouchi pour éloigner les salafistes de la violence, laquelle constitue pour eux un instrument naturel de l'action politique, sinon une tentation irrépressible. Ces démocrates sont ceux-là mêmes qui ont accompagné la mouvance de l'internationale des Frères Musulmans, qui, il y a cinq ans, a décidé d'abandonner la violence et d'opter pour la démocratie.

De fait, la position de Ghannouchi reste ambiguë, oscillant entre la duplicité et la prudence. Alors est-il intelligent ou rusé ? Quelle catégorie de Farabi lui appliquer ? Je pense quant à moi que Ghannouchi est beaucoup plus proche du rusé que de l'intelligent. Pour devenir l'intelligent adepte de la prudence, pour être le ‘âqil qui pratique le ta'aqqul, il lui faut au préalable s'articuler à la généalogie de pensée qui tient compte du ‘uns, du sentiment d'humanité par quoi est nourrie la sagesse. C'est la philosophie qui se perpétue en traversant la frontière des langues, des peuples, des siècles qui le conduirait vers l'horizon humaniste. Bref pour qu'il soit vraiment intelligent et non point rusé, il doit définitivement troquer Saïd Qotb pour Immanuel Kant et passer de l'identité islamiste étriquée, close sur elle-même à la cosmopolitique ouverte et sur le futur et sur le passé, tout le futur, tout le passé légué par toute l'humanité pour concevoir un présent viable et aménager pour l'humain la voie du sauf dans un monde dévasté.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.