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L'interview du dimanche avec Sadok Hammami, chercheur et directeur du CAPJC: «Nous n'avons toujours pas de système de mesure d'audience crédible»
Publié dans Le Temps le 23 - 04 - 2017

Chercheur universitaire, maître de conférences à l'Institut de presse et des sciences de l'information et directeur du Centre Africain de perfectionnement des journalistes et communicateurs (CAPJC), Sadok Hammami a activement participé à la mise en place du comité provisoire du Conseil de la presse. Une première en Tunisie qui s'est fait tant attendre. Au cours de cet entretien, Sadok Hammami nous explique les objectifs de ce Conseil, ses prérogatives et ses principes.
-Le Temps: L'annonce officielle du comité provisoire du Conseil de presse en Tunisie vient d'être faite. Que pouvez-vous nous dire sur ce comité et ce Conseil ?
Sadok Hammami:Le comité provisoire va mettre en place le futur Conseil de presse mais disons que l'ossature principale est mise en place. La Tunisie est dotée désormais d'un Conseil de presse qui est l'organisme qui va autoréguler la presse pas uniquement la presse écrite mais le champ journaliste. Cela veut dire que tous les journalistes qui travaillent dans les médias écrits, électroniques, radios et télévisions vont être redevables à ce Conseil ; c'est une nuance importante qu'il faut relever. Ce Conseil pourra examiner toute plainte qui soit portée contre tout journaliste qui exerce dans ces cinq médias. Les journalistes ne sont redevables qu'à leurs paires parce que la HAICA (Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle), qui est une instance légale, ne peut pas demander des comptes aux journalistes.
-Ce Conseil de presse n'est-il pas une sorte d'instance parallèle à la HAICA justement ?
Non, la HAICA ne peut pas demander des comptes à des journalistes en se basant sur l'éthique professionnelle. Seuls des journalistes peuvent demander ce genre de compte. La déontologie fait partie de l'autorégulation justement. Si les journalistes commettent des infractions dans le cadre de leur travail, qui relèvent des cahiers des charges, là, la HAICA ou les citoyens peuvent sanctionner le média en question. Ces deux instances ne vont pas se concurrencer : la HAICA a une mission extrêmement précise puisque c'est une institution publique, un prolongement de l'Etat – parce que la régulation est une fonction de l'Etat. Etant donné que le journalisme représente un secteur très sensible, l'Etat délègue ce pouvoir de régulation à une instance indépendante qu'il va lui-même financer. Or, le Conseil de presse n'a pas du tout la mission de mettre en place les normes de fonctionnement de l'audio-visuel ; il ne va pas accorder d'autorisation, il ne va pas éditer des cahiers des charges et il ne va pas non plus veiller à ce que les médias les respectent. Le Conseil de presse va uniquement dicter la charte de la profession qui engagera les journalistes et les patrons de presse. C'est à partir de cette charte que les journalistes seront redevables vis-à-vis du Conseil. Je dirai que la création de ce Conseil est la phase la plus facile bien qu'elle ait pris beaucoup de temps. Les étapes qui suivront seront très difficiles.
-Ce conseil est sous l'égide de quelles parties ?
Il est sous l'égide des organisations professionnelles qui l'ont institué: le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), la Fédération tunisienne des directeurs des journaux (FTDJ), le Syndicat général des médias, l'Association des directeurs des établissements médiatiques et la Ligue des droits de l'Homme.
Une association (l'association pour le soutien à la création du Conseil de presse) a été créée précédemment par ces cinq organisations qui ont nommé, par consensus, cinq membres qui mettront en place le futur Conseil de presse définitif.
-Ce Conseil de presse puisera sa légitimité d'où ? Comment compte-t-il faire respecter ses verdicts ?
Il aura deux sources de légitimité. La première c'est les standards et les pratiques dans toutes les sociétés démocratiques, sauf en France, où existent des instances pareilles qui interviennent pour assurer la redevabilité des journalistes face à la société. Ces instances existent pour éviter que les relations entre les journalistes et les citoyens soient basées sur un aspect juridique rigide ; plutôt que d'aller porter plainte pour des questions d'éthique – où le juge ne peut pas forcement trancher – on se dirige vers un Conseil de presse qui, lui, peut très bien faire ce rôle. La seconde source de légitimité, est la profession : le principe de l'autocorrection, de l'examen de la profession des infractions commises par ses membres existent dans d'autres métiers (l'Ordre des médecins, des avocats, des architectes etc). Mais la spécificité avec le journalisme c'est qu'il ne peut pas se constituer en Ordre parce que le journalisme doit rester un métier ouvert. Le savoir journalistique n'est pas codifié de telle sorte qu'il doit se constituer une sorte de porte d'accès.
-Concrètement, comment agira ce Conseil de presse ?
Les cinq organisations que nous avons citées auparavant nommeront, plus tard, des membres définitifs de ce Conseil parce qu'il faut dire qu'il y a aussi un processus pour chercher du financement parce qu'actuellement le Conseil ne dispose pas de financement stable et durable. Deuxièmement, il nous faut une forme de légalisation et, dans ce sens là, la future loi qui va succéder au décret 115 va introduire un article (Art 12) qui consacre le principe de l'autorégulation de la profession et qui va évoquer le Conseil de presse pour ne pas donner la possibilité de créer autant de Conseils que les journalistes.
A partir du moment où on a le Conseil de presse avec sa forme légale – consacré et non pas créé par le gouvernement – il aura une charte fondamentale parce que vous ne pouvez pas demander des comptes ou sanctionner quiconque sur des principes que l'on pas a priori. Une fois cette charte mise en place, on peut demander des comptes aux journalistes qui la dépassent. Par la suite, on aura une sorte de Tribunal d'honneur où un comité d'expert recevra les plaintes et les examinera. Le Conseil de presse ne dictera ni des sanctions financières ni de sanctions d'emprisonnement physique ; il y aura des sanctions symboliques. Le comité de ‘juges' va dire que ce journaliste n'a commis aucune infraction à l'éthique journaliste. Dans le cas contraire, il y a bien-sûr tout un processus d'enquête, le journaliste en question aura une sanction dictée par le Conseil de presse ; l'une des sanctions c'est une publication où il explique le cas, en citant les noms. Cela est très important parce que c'est une sanction symbolique ayant des retombées graves à la fois sur la réputation du journaliste et sur son devenir professionnel. De ce fait, les journalistes feront très attention. A condition toutefois que le processus de médiation soit équitable.
-Est-ce que les journalistes peuvent se présenter en tant que plaignants devant le Conseil de presse ?
Non, mais un journaliste peut à la limite signaler des manquements au Conseil par lui-même. Il peut dénoncer des dépassements. Le Conseil de presse n'est pas uniquement un Tribunal d'honneur parce qu'il a un rôle fondamental de défendre la liberté de presse ; il n'est pas là comme pouvoir de sanction mais, surtout, comme instance qui va encourager la presse déontologique et la presse de liberté. S'il va sanctionner, ce ne sera certainement pas pour le plaisir de sanctionner mais ce sera pour l'intérêt de la profession pour se mettre au niveau de la déontologie. Ce Conseil aura pour but de développer une presse déontologique. A mon avis, il y aura des résistances de la part des journalistes dans le processus de la mise en place de ce Conseil. Et c'est pour cette même raison que le Conseil doit, avant toute chose, développer toute une stratégie pédagogique pour expliquer son importance.
-Cette annonce survient dans un contexte très tendu entre le large public et les journalistes où la crise de confiance se fait de plus en plus sentir. Quel remède face à cela ?
Tout d'abord je tiens à affirmer que cette crise de confiance ne concerne pas uniquement la Tunisie, elle est mondiale. Dans les sociétés démocratiques, il y a de moins en moins de confiance envers les médias et les journalistes. Le fait que le public critique les médias doit être accepté.
Maintenant, un des rôles du Conseil c'est de développer l'éducation aux médias ; un mécanisme de critique citoyenne envers les médias. Dans certains pays, il existe des associations de lecteurs, d'auditeurs et de téléspectateurs qui veillent à développer la critique des médias. Le problème c'est qu'en Tunisie on traite ces affaires avec une impulsivité prononcée qui ne débouche pas sur des actions concrètes. Donc, le Conseil aura pour mission d'œuvrer à une relation de confiance entre les deux parties. Et pour ce faire, les journalistes doivent rendre des comptes et pas pour n'importe qui mais face à la profession et c'est cela même la singularité du Conseil de presse : la profession se montre responsable et dit à la société qu'elle n'est pas au-dessus de la responsabilité et de la responsabilisation. Etant une profession responsable, elle met elle-même les mécanismes qui permettent cette prise de responsabilité.
-Qu'en est-il de cette nouvelle loi relative à la régulation ?
La Tunisie doit être fière d'avoir à la fois une instance de la régulation pour l'audiovisuel conforme aux standards internationaux et un Conseil de presse qui est déjà prêt et conforme aussi aux mêmes standards.
Maintenant, la question c'est comment, à la veille d'une nouvelle loi relative à la régulation, évaluer ce que j'appelle le dispositif de régulation. Il nous faut une évaluation sereine, critique et systématique parce que, étant chercheur, je pense que nous avons intérêt à analyser, à examiner et à évaluer le dispositif d'évaluation tel qu'il a fonctionné depuis 2013. Dans ce sens, changer uniquement de loi n'est pas suffisant parce que changer ne résout pas le problème. Je suis pour une évaluation du dispositif de régulation à parti des out-put. Il y a des fonctions évidentes dont, fondamentalement, l'octroi des licences et le respect des médias vis-à-vis des cahiers des charges. On peut évaluer si ces deux fonctions ont été bien remplies par l'autorité de régulation. Mais, à mon avis, ce n'est pas suffisant parce que je pense qu'il faut évaluer le système de régulation à partir de ses out-put. Avons-nous aujourd'hui des médias audiovisuels de qualité ? Avons-nous aujourd'hui des médias audiovisuels qui remplissent leur rôle dans la vie politique ? Avons-nous aujourd'hui des médias audiovisuels qui servent la culture nationale et qui produisent une offre de programmes nationaux ? Moi je dis que le système de régulation en Tunisie n'a, jusqu'à maintenant, pas garanti l'émergence de médias audiovisuels de qualité qui assurent convenablement leur rôle en tant que plateforme de débats démocratiques et qui soient capables d'avoir une offre de programmes correspondant aux besoins de la société. Il y a un paradoxe ; nous avons un système de régulation conforme aux standards internationaux mais le paysage médiatique est en pleine crise. Les citoyens ne sont pas satisfaits de l'offre audiovisuelle qui est très faible et les médias ne jouent pas leur rôle convenablement, ils ont un grand problème pour informer de façon professionnelle. Tout le monde est centré sur les textes juridiques. Il y a une obsession dans le débat actuel qui tourne autour de ces textes comme si ces textes allaient accoucher d'eux-mêmes de médias audiovisuels de qualité !
Si on veut évaluer aujourd'hui les systèmes de régulation depuis 2013, il faut avoir une double entrée ; une évaluation des textes en question et une évaluation des out-put des systèmes de régulation eux mêmes.
-Aujourd'hui l'Etat s'est désengagé des médias alors qui en est responsable ?
C'est le système de régulation. Nous devons avoir un système de régulation fort de telle sorte qu'il doit être un levier pour le développement de médias de qualité. Une instance de régulation ne doit pas uniquement être responsable des octrois des licences et du respect des cahiers des charges. Je suis pour une instance qui soit responsable de la qualité des médias que méritent les Tunisiens. Aujourd'hui, le système médiatique n'est pas conforme à leurs attentes. Nous avons un mécanisme de régulation avec, en face, des chaînes dont 80% des programmes sont des programmes importés et cela doit nous alerter. L'instance ne doit pas être réduite à un bureau d'octroi de licences. Nous avons des télévisions qui ne fonctionnent qu'un mois sur douze!
-Pensez-vous que les lacunes que vous venez de relever sont causées juste par des problèmes de formation ou cela prouve-t-il l'existence de l'influence de certains sur les journalistes et leur rendement ?
Le problème de notre pays est un problème de modèle de télévision. Aujourd'hui, nous avons un modèle très particulier qui domine : la télévision du spectacle, même les débats politiques sont orientés vers le spectacle. Nous devons mener toute la société vers une réflexion sur le modèle de télévision que l'on souhaite avoir. Le modèle actuel ne fonctionne pas comme un média qui soit capable de proposer aux Tunisiens des programmes de qualité et diversifié. Nous avons l'impression que le même modèle se répète partout, télés et radios compris.
-On nous sort l'argument de l'audimat lorsqu'on pose cette question!
Justement ! Il faut que le système de régulation puisse aboutir à un modèle de télévision alternatif ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. L'Instance de régulation, selon le décret 116, est appelée à trouver les solutions, seule ou en coopération avec les pouvoirs publics, pour assurer une offre de programmes diversifiés. Donc, on doit travailler sur la recherche de ces mécanismes qui existent ! En Europe, il existe des mécanismes pour soutenir la production nationale de la fiction. Il y a des solutions à trouver au niveau des modes de financement, au niveau de l'organisation de la publicité, au niveau des mesures de l'audience. Nous n'avons toujours pas un système de mesure d'audience crédible. Une instance de régulation n'a pas pour unique mission d'octroyer des licences et de laisser place à une concurrence sauvage pour la captation des ressources publicitaires. Elle doit réguler le secteur, elle doit désigner le secteur et doit avoir une responsabilité au niveau de l'offre finale du programme. Or, aujourd'hui, on réfléchit unqiuement au cadre juridique.


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