L'heure est grave ! Combien de fois, politiciens, économistes, sociologues, journalistes, sécuritaires ont-ils répété cette courte phrase aux significations multiples et lourdes de conséquences ? Sûrement à plusieurs reprises. On citera, notamment, les moments suivants : l'annonce par Mohamed Ghannouchi de sa démission, en mars 2011, ouvrant la voie à la nomination de Béji Caïd Essebsi à la tête du gouvernement, l'attaque de l'ambassade américaine, en 2012, par des centaines de salafistes, l'assassinat de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi, en 2013, la rédaction de la Constitution lorsqu'Ennahdha avait failli imposer dans l'Article 1, le volet de la Chariâa en tant que source essentielle des lois du pays, la multiplication des attentats ayant visé les militaires et les sécuritaires entre 2012 et 2014, le sit-in d'Errahil, fin 2013,qui a fini par obliger le gouvernement de la Troïka à partir, la tentative, début 2014, de faire capoter, au dernier moment, le consensus obtenu à l'issue du dialogue national suite au diktat d'Ennahdha qui a fait un forcing, resté énigmatique jusqu'aujourd'hui, pour imposer Lotfi Ben Jeddou au poste de ministre de l'Intérieur. On citera, bien entendu, les moments des attentats contre la Garde présidentielle, contre le Musée du Bardo, contre l'Hôtel Impérial à El Kantaoui de Sousse tout le long de 2015, le coup de force avorté d'ériger un Emirat islamique à Ben Guerdane en mars 2016. A noter, ici, qu'entre 2012 et 2014, tous les attentats visaient les forces sécuritaires et militaires, alors qu'après les élections de fin 2014 et l'événement de Nidaa et de Béji Caïd Essebsi, les terroristes ciblaient la présidence de la République et les intérêts touristiques !! D'autres moments sont à mentionner dont ceux, à deux ou trois reprises, annonçant la « faillite ou presque de l'Etat tunisien » ! Une situation que nous revivons, ces jours-ci suite aux déclarations du ministre du Développement, de l'Investissement de la Coopération internationale et des Finances par intérim, Mohamed Fadhel Abdelkefi. Ce ministre, réputé compétent et pondéré, était sorti de ses gonds par des propos diffamatoires et des accusations gratuites lancés par Samia Abbou, passée maître dans l'art de la provocation et des cris hystériques. Ce ministre a fini par lâcher le morceau et dire ce qu'il n'aurait, peut-être, pas dû dire, à savoir que le pays est géré au jour le jour, donc à la manière d'un épicier, et que l'Etat est en train d'emprunter de l'argent pour pouvoir payer les salaires des fonctionnaires ! Des déclarations jugées comme étant « irresponsables » car elles vont, probablement, avoir un impact fâcheux sur les rapports de la Tunisie avec les instances financières internationales et les bailleurs de fonds aussi bien nationaux qu'étrangers. Autrement dit, encore une fois, « l'heure est grave » et encore une fois, que doit-on faire pour sortir de l'auberge ? L'économiste respecté, Ezzeddine Saïdane relève, que pour relever le défi, il faut commencer par établir un diagnostic réel tout en reconnaissant que l'économie est, dans l'état actuel des choses, incapable de générer de la croissance dans le sens où les dépenses dépassent, de loin, les recettes, ce qui nécessite le recours à l'endettement intérieur et extérieur qui a atteint, aujourd'hui, 75% du PIB alors que ce taux était de 48% seulement en 2010, passant ainsi de 2800 dinars à 6 mille dinars pour chaque citoyen ! M. Ezzeddine Saïdane impute ce constat critique à la politique erronée suivie par le pouvoir de la Troïka en place depuis 2012, outrageusement dominé par le parti islamiste d'Ennahdha, et qui consistait en une ouverture du budget aux dépenses avec l'espoir que la consommation va booster la dynamique économique et faire tourner la roue et, par voie de conséquence, générer de la croissance. Mais de quelle ouverture peut-on parler quand seules les proches d'Ennahdha en avaient profité puisque des recrutements par dizaines de milliers ont été effectués et des compensations par des sommes faramineuses qui restent à déterminer même si les Islamistes tentent de minimiser. Ainsi, l'argent trouvé dont les milliers de milliards, coût de la participation des Emiratis à Tunisie Telecom et bien d'autres milliers de milliards, provenant de crédits et autres, volatilisés dans la compensation accordée aux amnistiés dont un grand nombre de sans qualification ont eu des postes de commande et de responsabilité avec des salaires élevés. L'histoire ne pardonnera jamais et se chargera bien de clarifier tous ces points, mais maintenant que la situation étant ce qu'elle est, il faut penser à trouver les moyens de remédier à ce constat, négatif sur toute la ligne. Le même expert économique, Ezzeddine Saïdane se demande si les décideurs sont bien conscients de la gravité de l'heure ? Et sont-ils en train de dire toute la vérité au peuple tunisien qui leur a accordé sa confiance ? Passant au volet des propositions, des spécialistes en économie estiment que le sauvetage demeure possible, mais à des conditions bien entendu. Tout d'abord, et plus d'une réelle volonté politique, il y a lieu d'entreprendre un dialogue économique et financier susceptible d'émettre un diagnostic qui, une fois établi, il faut que toutes les parties s'y conforment en s'engagent à le respecter par écrit. Vient ensuite, selon les mêmes spécialistes, l'étape de l'élaboration d'un programme de réformes économiques claires contenues dans une stratégie similaire au plan d'ajustement structurel adopté en 1986 qui avait permis à la Tunisie de dépasser la crise et de payer même ses dettes envers le FMI en 1991, soit trois ans avant l'expiration de l'échéance. On ne peut passer sous silence que la majorité des experts se sont remis à refaire des comparaisons avantageuses, économiquement parlant, pour l'ère de Ben Ali par rapport à la situation vécue par le pays depuis la révolution et plus particulièrement sous le régime désastreux de la Troïka, pourtant censé rester uniquement un an, juste le temps de l'élaboration de la Constitution, la mise en place des instances constitutionnelles et l'organisation des élections définitives, législatives et présidentielles. Autre point à relever, c'est qu'aucune partie, même pas le gouvernement n'ose critiquer certains comportements de l'Union générale tunisienne du travail (UGTT) ni demander des comptes aux responsables au pouvoir du temps d'Ennahdha entre 2012 et 2014. D'ailleurs, une impression prévaut quant à un certain enchaînement des gouvernants actuels parce qu'ils « ne peuvent pas » ouvrir certains dossiers qui fâchent le parti islamiste. En tout état de cause, tant que le gouvernement de Youssef Chahed a les mains liées pour des considérations indépendantes de sa volonté, son action ne peut qu'être amputée et incomplète...