En moins de deux semaines, le président de la République, Béji Caïd Essebsi, a accordé deux interviews publiques ; la première, accordée à Assahafa et La Presse, a porté essentiellement sur le régime politique du pays et sur l'alliance entre les mouvements de Nidaa Tounes et celui d'Ennahdha. Le second entretien, diffusé sur la chaîne nationale, a été dédié à l'actualité du pays mais, aussi, au régime politique et à l'alliance avec le mouvement islamiste. L'élément le plus marquant de cette seconde apparition est le revirement de position extraordinaire du président qui, il y a à peine quelques jours, a qualifié son alliance gouvernementale avec Ennahdha de "fausse évaluation", revient aujourd'hui pour dire que "cette cohabitation est plutôt réussie et qu'elle peut donc être poursuivie". Un changement radical sur une question pourtant cruciale pour Caïd Essebsi qui avait fait de sa rivalité avec Ennahdha en général et avec son chef, Rached Ghannouchi, en particulier, le principal atout de sa campagne électorale. Aujourd'hui encore, l'ancien président de Nidaa Tounès est considéré comme étant un manipulateur par un bon nombre de ces électeurs. L'autre fait remarquable était la réaction d'Ennahdha lors de la première déclaration du président. Alors qu'on s'attendait à une riposte digne de ce nom de la part des islamistes, on a eu droit à un semblant de réponse de la part du vice-président du mouvement, Ali Larayedh, qui s'était juste contenté d'expliquer que les propos de Caïd Essebsi ont été "sortis de leur contexte". Alors qu'on peinait à trouver une réelle explication à l'attitude des dirigeants d'Ennahdha face aux déclarations haleuses de leur allié, l'interview de ce lundi vient tout clarifier. Béji Caïd Essebsi a secoué ses amis en leur rappelant qui était le réel chef. Comprenant bien le message, les députés d'Ennahdha ont voté en bloc en faveur de la loi de la réconciliation administrative et ont même sacrifié l'un des leurs – la démission de Nadhir Ben Ammou du bloc parlementaire d'Ennahdha en signe de protestation contre le vote de ses collègues – dans le but de répondre positivement au chef de l'Etat. Mais le revirement de Béji Caïd Essebsi ne peut pas être causé uniquement par ce point. Aujourd'hui, le chef de l'Etat a de moins en moins de gène pour exprimer son malaise face au régime politique actuel ; il ne rate plus aucune occasion pour rappeler que ce système est la réelle source de l'instabilité politique, et donc économique aussi, du pays. La récente déclaration de la porte-parole de la présidence de la République, Saïda Garrach, – qui a indiqué que le président ne veut pas être l'initiateur d'un tel changement et qu'il préfère que cela provienne de la part d'un tiers des députés comme le stipule la Constitution – vient confirmer la version. Ennahdha n'a pas fini de jouer son rôle aux yeux de BCE qui cherche encore et toujours à lui arracher encore plus. Si l'on continuait dans la même logique, Béji Caïd Essebsi serait de retour dans son rôle de séducteur pour les islamistes parce qu'il chercherait à ce que ces derniers le soutiennent dans son envie de changer le régime politique en réinstaurant le régime présidentiel dont il ne cesse de vanter les mérites.En somme, Béji Caïd Essebsi est en train d'enchaîner les apparitions médiatiques non pas pour communiquer avec les citoyens mais pour mieux se jouer d'Ennahdha. En leur soufflant le chaud et le froid, il garde le contrôle sur la cohabitation en tirant "le meilleur".