L'Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) semble déterminé à continuer à jouer le rôle de vigie de la transition démocratique face aux blocages politiques et aux dérives autoritaires. La centrale syndicale a fustigé, dans un communiqué publié hier à l'issue d'une réunion de son Bureau exécutif élargi, les agissements de certains partis «extrémistes» qui cherchent à dominer la vie politique et à infiltrer sournoisement l'appareil de l'Etat. «Nous exprimons notre préoccupation par l'exacerbation des tensions politiques, sociales et sécuritaires sous l'effet des tiraillements alimentés par des partis extrémistes ayant des visées hégémoniques et qui cherchent à infiltrer insidieusement l'appareil de l'Etat », a souligné l'organisation dans son communiqué. Et d'ajouter : «Notre préoccupation est également motivée par le fait que certaines parties étrangères impliqués dans le conflit armé en Libye ont pu entraîner des partis politiques tunisiens dans le marécage des axes. Nous appelons dans ce cadre à la protection de la souveraineté de notre décision et refusons la présence d'une base militaire turque ou américaine sur notre territoire». L'allusion est limpide au mouvement islamiste Ennahdha qui soutient le gouvernement d'union nationale (GNA), dirigé par Fayez Al-Sarraj et appuyé par l'axe Qatar-Turquie. Le mouvement Ennahdha est aussi accusé par l'UGTT de chercher à avoir une emprise sans partage sur l'appareil d'Etat et la domestication de tous les contre-pouvoirs existants dans le cadre d'un vaste projet appelé «Tamkin» (prise de possession) qui fait partie de l'idéologie des Frères musulmans. Rappelant qu'elle a joué un rôle «patriotique» en sus de ses activités syndicales, l'UGTT a d'autre part tiré à boulets rouges sur la coalition Al-Karama, sans la nommer. «Nous dénonçons la campagne de dénigrement que mène un bloc parlementaire populiste contre l'organisation ouvrière, les médias, des partis politiques des associations de la société civile et des personnalités nationales », a précisé le Bureau exécutif élargi de la centrale syndicale dans son communiqué. «Ce bloc parlementaire exerce le terrorisme intellectuel et l'incitation à la haine, qui nous rappelle le climat politique tendu ayant constitué un terreau fertile pour les assassinats politiques et l'anarchie qu'a connu le pays en 2012 », a-t-il ajouté, indiquant que l'organisation ouvrière doit se défendre et soutenir les forces démocratiques menacées par les takfiristes et leurs représentants jouissant de l'immunité parlementaire. Une confrontation en vue ? Dans son allocution d'ouverture des travaux de la réunion du Bureau exécutif élargi, le secrétaire général de l'UGTT, Noureddine Taboubi, a par ailleurs déclaré que cinq plaintes déposées par son organisation «une partie qui se considère politique et qui est en réalité le pare-chocs d'un parti hostile à la centrale syndicale » sommeillent encore dans les tiroirs des tribunaux. Le responsable syndical, qui fait ainsi allusion à la coalition Al-Karama que de nombreux observateurs qualifient de pare-chocs du mouvement Ennahdha, a cependant regretté que la justice à traité «à la vitesse d'un éclair » une autre affaire, évoquant implicitement celle déposée par le député de la coalition Al-Karama, Mohamed Affès, contre des syndicalistes qu'il accuse de l'avoir agressé. Enfonçant le clou, le secrétaire général de l'UGTT a par ailleurs affirmé que l'organisation ouvrière est prête à croiser le fer avec les forces politiques qui cherchent à l'affaiblir. «L'UGTT est une organisation incontournable et tenter de l'outrepasser est une erreur monumentale. Si vous voulez que ce soit une bataille pour l'édification et la réforme nous y sommes disposés, si vous voulez que ce soit une bataille sociale par excellence, nous y serons, mais si vous voulez que ce soit celle de nous briser les os, nous y sommes également prêts », a-t-il martelé. Et de renchérir : « Il y a des parties qui ont réussi à faire imploser des partis politiques rivaux et ils ne leur reste aujourd'hui que la centrale syndicale. C'est désormais une guerre d'existence, de mode de vie et de souveraineté nationale». Ces déclarations incendiaires laissent présager une nouvelle confrontation entre le mouvement Ennahdha et la puissante organisation ouvrière, qui, depuis sa création, en 1946, a mêlé activité syndicale et rôle politique en accompagnant la lutte de libération nationale. Les deux camps se sont déjà livrés à une bataille de chiffonniers en décembre 2012 quand des militants de la Ligue de protection de la révolution, une organisation radicale proche d'Ennahdha, ont attaqué le siège du syndicat à Tunis.