Avec "Le Livre de Souleika", c'est un hommage à l'Orient/Occident de Goethe qui irrigue notre territoire poétique. Un regard lyrique sur les échos éparpillés dans les œuvres du poète allemand et de Hafiz, son modèle oriental. Le Livre de Souleika est inséparable du Divan de Goethe. D'ailleurs, il s'ouvre et se clôt avec des extraits de cet ouvrage qui, entre Orient et Occident, fait désormais partie de la postérité et de mon propre horizon de poète. Dans Le Divan, il existe en effet un chapitre essentiel intitulé Le Livre de Souleika. Mon recueil y trouve son socle, son inspiration et les citations qu'il contient. Placé en exergue, au seuil de ce Livre de Souleika, Ginkgo biloba est un des poèmes les plus célèbres du recueil de Goethe. Le mystère duel du Ginkgo biloba Le ginkgo biloba est un arbre originaire du Japon. Sa feuille en forme de cœur possède deux lobes dont Goethe se demande s'ils étaient soudés pour se scinder ensuite ou bien s'ils étaient initialement séparés. Cet arbre et ses feuilles donneront dès lors naissance à d'éloquentes métaphores et continuent à m'interpeller longtemps après la rencontre fortuite de Goethe avec un ginkgo biloba dans un parc de Heidelberg, en Allemagne. Longtemps aussi, deux siècles entiers, après la parution du Divan en 1819. Placé au terme du présent recueil, d'autres vers de Goethe sont réunis sous l'intitulé Hatem. Ils proviennent du poème "Invitation" qui ouvre dans Le Divan la partie intitulée Le Livre de Souleika. Le Hatem du Divan n'est autre que Goethe alors que l'on s'accorde à dire que Marianne von Willemer est la véritable Souleika. Comme l'explique Claude David, dans sa préface à l'édition française du Divan, "Marianne compose à l'adresse de Hatem - le nom figuré du poète - quelques poésies qui, sans s'inspirer de modèles orientaux, imitent assez bien le ton détendu du Divan. Goethe est charmé à la fois par le talent de son hôtesse et par cet échange inattendu. Après en avoir corrigé quelques détails, il insère dans son recueil au moins deux, peut-être trois des poésies de Marianne. Celle-ci désormais se confond aux yeux de la postérité avec la Souleika orientale". Existerait-il aujourd'hui une autre Souleika dont les mots parsèmeraient ce recueil? Allemand, Persan et Tunisien L'origine fondamentale du Divan réside dans la découverte par Goethe du lyrisme oriental. Le poète allemand prend ainsi pour modèle Hafiz, un poète persan du quatorzième siècle, s'identifie à lui et s'approprie son univers, à la confluence de la mystique et de l'imaginaire. Dans Le Divan, Goethe n'est pas seulement Hatem. Il est aussi Hafiz, l'Orient, l'Occident et l'impénétrable énigme celée en toute poésie. Dans Le Livre de Souleika, les traces de Goethe sont nombreuses. Les mots destinés de l'un à l'autre des poètes se cherchent, s'étreignent et se retrouvent, avec en filigrane la figure tutélaire de Hafiz et son invitation à se mesurer au lointain, à l'infini. Peut-être convient-il de terminer cet article par quelques mots de Goethe, extraits du Divan, qui, à leur tour, éclairent quelques uns des brefs poèmes de ce recueil qui, lui aussi, se voudrait à cheval entre l'Orient/Occident de Hafiz et l'Occident/Orient de Goethe. Dans un poème des plus connus du Divan, comme un mystique dans le labyrinthe, Goethe évoque ardeur, ferveur et cosmos en ces termes transcendants: "Nulle distance ne te rebute Tu accours en volant, fasciné, Et enfin, amant de la lumière, Te voilà, ô papillon, consumé. Et tant que tu n'as pas compris Ce : Meurs et deviens! Tu n'es qu'un hôte obscur Sur la terre ténébreuse" Des vers qui exaltent l'indéfiniment renouvelé et auxquels répondent dans ce Livre de Souleika d'autres vers, d'autres tessons de langage, d'autres échos éparpillés, une autre voix d'Orient et d'Occident dans le dédale de la poésie. "Le Livre de Souleika" de Hatem Bourial. Editions La Nef, Tunis